samedi 30 janvier 2016

La Légende de Hawkmoon, Tome 6 Le Champion de Garathorm – Michael Moorcock (1973) Note : 13/20

Déchirure du Multivers


Deuxième roman du second cycle de la Légende d’Hawkmoon, celui du comte Airain, rédigé relativement tôt dans la bibliographie de l’incontournable Moorcock.

On y découvre un Hawkmoon en pleine dépression, valétudinaire, sale, ayant à peine la force de bouger et uniquement obsédé par les figurines de son wargame avec lesquelles il reproduit conflits et batailles, ne se remettant pas de la perte de son amour passionnel, Yisselda. Jusqu’à ce qu’une certaine Katinka Van Bak ne le bouscule, le sorte de sa torpeur et tente de le revigorer afin d’affronter un tyran par-delà les montagnes bulgares du nom d’Ymryl. Pour ce faire, il devra se changer en Ilian et être prisonnier d’un corps féminin tel Elminster, le célèbre magicien des royaumes oubliés.

Dans cet opus, le style n’a rien d’éblouissant, on flirterait même avec le médiocre, heureusement rattrapé par de bons dialogues et une intrigue suscitant une vive attention de l’esprit.

Cette légende d’Hawkmoon, malgré ses qualités, n’est qu’un succédané du cycle d’Elric, un pis-aller pour celui qui cherche à continuer l’aventure Moorcockienne.

Même si certains affirment qu’Hawkmoon est supérieur à Elric, je ne vois là que snobisme et excentricité, qui consistent à porter au pinacle l’œuvre secondaire sur la principale. Elric ayant bien plus de corps, cette anarcho-individualiste en errance, ne jurant que par les armes et l’amitié, le chaotique bon par excellence (pour parler alignement dans Donjons et Dragons), il est la figure de la Dark Fantasy. A son aune, Hawkmoon est bien fade même s’il lui empreinte son caractère, celui du champion éternel.

Pour conclure, un volume inférieur au reste de la saga, une aventure oubliable même si les amateurs du genre, dont je suis, pourront en retirer un plaisir certain, une sincère jubilation.

Le cadre des romans, cette Europe retro-médiévale, n’est pas particulièrement enthousiasmante et, entre loi et chaos, peu stimulante.

En espérant que la quête de Tanelorm, le dernier de la légende élève le niveau.




Samuel d’Halescourt

lundi 25 janvier 2016

La Couleur Pourpre de Steven Spielberg (1985) Note : 15/20

Parcours d’une libération


L’histoire de deux sœurs dans une Amérique pauvre et rurale du début du XXème siècle. Nettie est belle, Celie l’est beaucoup moins, là est l’origine du drame et du déchirement dont nous sommes témoin.

Le personnage de Danny Glover est un magnifique condensé de rusticité et d’ânerie, une sorte de Biff Tannen noir, avant que vienne le temps de la remise en question et de l’alcool après que Cellie ait pris le large, jusqu’à la rédemption finale où il accomplit enfin une action bonne et digne en participant à la réunion des deux sœurs.

Quant à Whoopi Goldberg, elle est réellement impressionnante dans l’interprétation de cette femme soumise, apeurée et maladivement timide ; elle crève littéralement l’écran. Par certains aspects, on est face à du Fellini version afro-américaine, un black Amarcord. Spielberg aurait du mal à nier cette suprême paternité et référence.

Ce film est une ode à l’émancipation des mal nées, des aliénées dès la naissance, à celles qui passent d’un beau-père incestueux à un mari tyrannique et qui par l’entremise d’une chanteuse excentrique arrachent leur liberté.

Evidemment ces tranches de vies sont impeccablement réalisées, quoi de plus normal avec Steven aux manettes, mais rien de transcendant, d’abouti, de définitif.

Pour conclure, une belle œuvre qui restera malheureusement mineure dans la filmographie de Spielberg, une respiration entre deux blockbusters, une lumière obstruée par l’ombre d’astres cinématographiques trop puissants.

Un film sensible, subtil, avec quelques défauts assurément mais toujours sincère et dans l’expérimentation appréciable du bucolique états-uniens.

Du petit rade de campagne à l’église protestante et de leur concurrence assumée. Du rapport de descendants d’esclaves aux blancs toujours hantés par l’histoire et l’évocation d’une Afrique fantasmée et folklorique. D’une femme opprimée qui trouve le courage de prendre la poudre d’escampette et de se réinventer.




Samuel d’Halescourt

jeudi 21 janvier 2016

Troisième antienne du Kindred : Galaxie grouillante


Cent huit espèces intelligentes disséminées aux quatre coins de la Voie Lactée. Arborescence de couleurs, de tailles et de morphologies. Information connue depuis la grande divulgation. Révélation suscitant à peine l’étonnement, le monde le devinant par profonde intuition, préparé au choc par cinéma interposé.

Une partie du Bras d’Orion, un pré-carré d’un million d’étoiles, terrain de jeu de la fédération, offerte par le conseil galactique. Ils vivent parmi nous avec un statut légal, il y a encore peu l’aliénocide n’était pas réprimé et désormais chose faite.

Leur niveau d’avancement est disparate. Nous ne sommes pas les plus primitifs. En queue de peloton certes mais un beau pari sur l’avenir.

Légendaires entités, nées il y a plusieurs milliards d’années dans la galaxie naine du dragon, déconstruisirent les secrets de l’univers et dans un éon terminal s’extirpèrent de la matière, du temps pour rejoindre les sphères divines. L’eschatologie commune en fut bouleversée, réenchantée, fantasmée à nouveau.

Seule une dizaine de races nous sont familières, susceptibles d’être rencontrées au détour d’un astroport d’une mégapole extra terrienne. Aucun pacte d’échanges de technologie ne préexiste. A chacun son évolution, son exponentialité, son destin. L’influence n’est que théorique, d’observation, l’application est endogame dans l’efficience. Défi relevé pour l’humanité et ses ersatz.

Derniers arrivés, les hybrides, aux génomes mêlés, commencent à pulluler sur planètes et satellites ; ni d’ici, ni d’ailleurs, ils s’improvisent une identité qui tend vers le complexe de supériorité, une ambition élevée, la tentation de dominer les autres engeances.

Ils ont sous estimé les hommes et leurs ramifications vassalisées. La pustule cosmique balaiera la dégénérescence alien, instaurera son hégémonie et accomplira son but final, sa parousie agnostique.








Samuel d’Halescourt

lundi 18 janvier 2016

Madame H. – Régis Debray (2015) Note : 15/20

Madame H. – Régis Debray (2015)

Le général et la pipe


Le bon vieux compagnon du Che fait ici preuve d’un style détonnant, tout en saillie, de phrases courtes mais destructrices, hautement efficaces, à faire tomber tous les murs (comme le chante Renaud).

C’est tellement surprenant qu’il faut bien deux chapitres pour se mettre dans le bain et adhérer au choix formel du gaulliste d’extrême gauche.

Deux chapitres essentiels, le premier où Debray narre sa rencontre désastreuse avec le grand Charles, de comment il était ivre mort et incapable d’assurer toute conversation et de comment il fut mis à la porte manu militari. Le second est un éloge des fumeurs de pipe, déplorant la lente agonie qu’aura subie la subtile activité, réservée à ceux qui aiment prendre le temps et peu à peu remplacée par le trop rapide adepte de la cigarette. Il rappelle qu’ils furent autrefois les incarnations de l’avant-garde pour être aujourd’hui les tenants de la réaction dans l’imaginaire d’une société qui évolue trop vite.

Un bel ouvrage, écrit à la mitrailleuse lourde où Debray évoque sa juvénile fascination pour l’histoire en marche et pour ceux qui la font.

Ses premiers frissons devant la défaite de Diên Biên Phu et ses regrets devant l’atonie politique de ces dernières décennies en France.

Pour conclure, un livre qui peut déranger car il hurle son désir d’histoire, de la faire et donc le lot de tragédies et de crimes consubstantielles à l’idée. Mais Debray l’assume et s’exclut du clan des tièdes, du consensus démocratique des mous pour réclamer à corps et à cris de l’étincelant et de l’ambitieux quelqu’en soit le prix.

Cette madame H. (l’histoire) le fascine à un point tel qu’il en vient à invoquer de l’événement dans le seul but de jouir d’elle.

Régis Debray est un des intellectuels les plus sainement urticants de l’époque avec Zemmour, l’outrance cognitive, Onfray, l’explosion hédoniste sans conséquence, Finkielkraut, la foudre enrobée de tempérance et Soral, l’impérissable théoricien des douces paranoïas.




Samuel d’Halescourt.

dimanche 17 janvier 2016

Douzième message du Kindred : Pluton la divine

Pluton la divine




J’ai suivi les trois uniformes Ganymédiens jusque dans le vaisseau pour constater de mes yeux l’étendue de l’envahissement, de la fouille protocolaire.

  • C’est marrant tous ces types qui se font immatriculer sur Pluton alors qu’ils n’y ont jamais foutu les pieds ! me dit Spears. Rassure-moi c’est pas ton cas ?
  • Le voyage est relativement long ! Ça fait une sacrée trotte !
  • Donc t’y a jamais foutu les pieds ?
  • Non, jamais !

Ils ont retourné notre manoir flottant, de la cuisine au bureau en passant par la chambre réfrigérée. Au bout de quelques minutes, l’un des sous-fifres s’est radiné au garde à vous devant son supérieur.

  • Mc Jill au rapport ! éructa le gradé.
  • Un sachet d’herbe, tout à fait légal et un pistolet Bordage III.
  • J’ai un permis pour ça ! dis-je
  • Ca m’aurait étonné ! Quoi d’autres ?
  • Il y a un gros dans une cabine virtuelle. Qu’est-ce qu’on fait, on le décanille ?
  • Non, laissez-le patauger dans son jus chimique ! C’est tout ?
  • Il y a aussi un coffre blindé, biométrique, dans le bureau.
  • Parfait ! tu vas nous montrer ce qu’il y a dedans ?
  • Désolé, mais cette même immatriculation qui vous a fait venir jusqu’à moi m’autorise à refuser. Vous comprenez, j’appartiens pas officiellement à la fédération solaire moi !
  • Fils de pute ! dis moi un truc ? Combien ça t’a coûté de te faire immatriculer Pluton ?
  • Plus que vous ne pourrez jamais léguer à vos enfants, lieutenant !

Spears tente de contenir sa rage mais ça déborde de tous côtés. D’un claquement de doigts, il rameute son équipe et quitte les lieux.

  • Allez, on remballe, mais sache une chose dit Spears, on t’a à l’œil ! Je t’ai à l’œil !

Deux heures plus tard, Floyd prenait congé de son RPG, prêt à décoller après une bonne nuit de sommeil.

Je vous recontacte prochainement.








Samuel d’Halescourt

samedi 9 janvier 2016

Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées de Peter Jackson (2014) Note : 15/20

N’abîmez pas mon cambrioleur


Autant il avait fallu faire des coupes de chapitres entiers pour le Seigneur des Anneaux, quitte à évincer notre bon vieux et adoré Tom Bombadil, dans le Hobbit il aura été nécessaire de rajouter des éléments absents du roman de Tolkien et qui semblent parfois malvenus.

Une histoire d’amour fulgurante entre une elfe et un nain, hérésie s’il en est si l’on prend en considération les haines et mépris qui séparent les deux peuples dans le folklore, les codes de la fantasy traditionnelle. Nous avons même droit à un baiser hollywoodien post-mortem. Point de métissage en Terre du milieu même si, étreint par la curiosité, on aurait aimé découvrir la tête qu’aurait eu un mulâtre demi-elfe.

Dans cet épisode, Bilbo Sacquet, notre hobbit (la seule race où même jeune on aspire à vivre comme un retraité), est pris du syndrome dit de Jack Burton car, pourtant personnage central du film, il se trouve relégué au second plan, se fait voler la vedette par celui qui aurait dû rester un personnage secondaire. Comme Jack, Bilbo se fait assommer pendant une scène d’action et rate le plus croustillant des combats.

Les scènes de batailles sont certes irréprochables mais ressemblent plus à Warhammer, le célèbre jeu de figurines sur table, qu’à un quelconque esprit Tolkienien. Notamment le chef des nains, monté sur cochon, qui paraît sortir tout droit de l’univers exploité par Games Workshop.

Pour conclure, le moins bon d’une trilogie déclinante, où l’on se débarrasse des orques comme des pions à la chaîne, ce qui peut finir par taper sur le système.

Heureusement, on est clairement dans un film pour adulte, j’en veux pour preuve la dimension tragique du dénouement où trois nains trépassent, dont Thorin Ecu-de-Chène, le plus emblématique d’entre eux.

Et puis à la toute fin, Bilbo retrouve sa chère Comté où la paisibilité inhérente au territoire contraste avec l’aventure tempétueuse qu’il vient de vivre.

Peter Jackson aura-t-il l’outrecuidance finale de s’attaquer au Silmarillon, je le fantasme secrètement !




Samuel d’Halescourt

mercredi 6 janvier 2016

Le Hobbit : La Désolation de Smaug de Peter Jackson (2013) Note : 16/20

Monteur de tonneaux


Ce second volet trahit un peu plus le roman originel en y incorporant des personnages jamais évoqués par Tolkien et participant à des intrigues secondaires hors de propos.

Les codes du cinéma étant mouvants, il est triste de constater que Peter Jackson date son film par des compromis scénaristiques et visuels en cédant aux modes de l’époque et échappe ainsi de façon définitive à la glorieuse qualification d’intemporelle.

La fuite, Beorn le change forme, les araignées géantes, les elfes sylvestres, l’attraction des tonneaux, Bard et Lacville, le trésor du dragon rouge et l’activation des forges sont autant d’éléments narratifs qui font la richesse indéniable du film mais c’est le plus souvent maladroitement exploité. C’est beau, immersif, onirique et pourtant la mayonnaise ne prend qu’à moitié, la démesure dans la fantasy ne peut remplacer la finesse d’un récit bien mené et d’une élaboration, d’un préalable réfléchi et maîtrisé.

Smaug, l’ancestral dragon est l’intérêt premier de cette désolation, portant sur ses robustes ailes toute l’intrigue du film. Il est plutôt réussi, magnifiquement animé, à la fois majestueux et terrifiant mais, comme tout méchant de pacotille, n’est pas avare de paroles qui entraînent une clémence sélective et une perte déjà annoncée ; car comme le veut l’adage Sergio Léonien : « Quand on tire, on tire, on ne raconte pas sa vie ! ». Ou cet autre Audiardisant : « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ! ».

Pour conclure, une fournée moyenne dans l’ensemble, décousue et ahanante malgré des décors à la hauteur ; Lacville est superbe, cité médiévale, fleurant bon le mystère, les charpentes boisées, le commerce de la pêche et les épreuves du quotidien.

Quand la fantasy rejoint le picaresque, cambrioleurs, bannis et vagabonds font l’histoire d’un monde que l’on nomme Terre du milieu.




Samuel d’Halescourt

samedi 2 janvier 2016

Le Hobbit : Un Voyage Inattendu de Peter Jackson (2012) Note : 18/20

La transmigration d’un conte en épopée




Après la perfection qu’est le « Seigneur des Anneaux », difficile d’être de nouveau au niveau et de réitérer ce magistral coup de maître avec l’amorce d’une inédite trilogie.

La première heure est digne du splendide, l’arrivée de Gandalf et des nains parasites qui encombrent et envahissent la chaumière du pauvre Bilbo dépassé par ces rustauds dépouilleurs de garde-manger. On y est avec eux, le seizième convive derrière l’écran, bercé par des cadres idoines, dans une atmosphère chaleureuse, rustique mais sophistiquée, où le gueuleton n’est qu’une genèse à l’aventure qui se profile. Dans son trou de hobbit, Martin Freeman est fabuleux, incarnant à merveille ce mélange d’être civilisé et inadapté simplement armé de l’humour caractéristique de la perfide Albion.

Et puis vient le temps de l’action, de la pérégrination, des Trolls des montagnes et du roi des gobelins où l’on perd un peu en perfection et en magie cinématographique, l’animation des créatures laissant quelques défauts dans le sillon de leur passage.

La volonté de Peter Jackson d’explorer le texte original de Tolkien pour y rajouter des séquences annonçant le réveil de Sauron alourdit l’ensemble et déçoit les orthodoxes qui auraient souhaité que l’on s’en tienne au livre stricto sensu. La scène d’échanges d’énigmes avec Gollum est sûrement la plus emblématique pour tous les amateurs du livre et elle est très bien rendue.

Pour conclure, dans le genre fantasy (voire high fantasy), c’est ce qui se fait de mieux et également les seules choses à se mettre sous la dent au cinéma.

Les images sont superbes, les personnages archétypaux au sens Jungien du terme, bien définis où chaque nain a sa propre apparence, personnalité et attitude.

Du grand spectacle populaire, un contentement pour tous ceux qui réclament à corps et à cris l’apposition de l’imaginaire Tolkinien dans nos œuvres de fiction.








Samuel d’Halescourt