lundi 27 février 2017

Sherlock Holmes : Jeu d’ombres de Guy Ritchie (2011) Note : 7/20

Le quadruple axel d’Arthur Conan Doyle dans sa tombe


On ne demande pas aux adaptateurs de légendes un trop plein d’obséquiosité et de déférence vis-à-vis des univers et des personnages dont ils s’emparent mais un minimum, un semblant de prise en compte des matériaux originaux et de leurs natures serait le bienvenu. Sans quoi c’est irrémédiablement le naufrage aux yeux des connaisseurs. Et les scénaristes de cet anti-hommage mériteraient, métaphoriquement bien sûr, symboliquement, une balle dans le genou ou un coup de hallebarde dans le sternum.

J’abandonne là mon homélie préliminaire pour encore mieux l’accentuer. Le premier Sherlock Holmes de Ritchie était convenable, il y avait un morceau d’enquête et peu d’outrances clownesques. Dans l’ensemble plutôt respectueux. Mais dans ce deuxième volet et c’en est là la tragique perfidie, on y convoque toute la mythologie sherlockienne (Mycroft le frère de Holmes, le Diogenes Club et l’affreux Moriarty) qui normalement devrait nous contenter, pour mieux nous décevoir tant leur exploitation est misérable, le tout bâti sur un néant scénaristique.

Alors évidemment, les images sont belles et la réalisation tient la route, voyant bien qu’il y a une continuité cohérente d’« Arnaques, crimes et botanique », puis « Snatch », jusqu’à ce « Jeu d’ombres ». Mais de là à faire de Holmes originellement un petit détective aux intuitions de génie, un super héros au QI de 400 avec des dons de divination et une capacité au combat qui aurait fait pâlir Attila voire Arès lui-même, il y a de la marge. La scène du train est tellement pitoyable et ridicule que ça me fait mal de l’évoquer.

Pour conclure, l’ennui et la transgression stérile se sont donnés rendez-vous pour déranger et contrarier les défenseurs et les amateurs du détective à la loupe.

Seuls les bohémiens et les anarchistes ont un peu d’intérêt dans ce mouvement général fait de scènes d’actions impotentes dans une linéarité narrative digne d’un mauvais jeu vidéo.

Pourvu que Guy Ritchie, qui veut imposer ces fondamentaux à tout ce qu’il traite, ne s’attaque jamais à la vie du Christ !




Samuel d’Halescourt

mardi 21 février 2017

Comment tu parles de ton père – Joann Sfar (2016) Note : 14/20


Entre esprit punk, culture geek et judaïsme


Le titre du livre et sa promotion médiatique furent d’éhontées demi-vérités. Ce n’est pas un livre sur son père mais sur son rapport au judaïsme vu à travers le prisme de son père.

Je me suis intéressé à Sfar et donc à ce livre par une accumulation d’interviews du susnommé visionnées au fil des années où j’ai été séduit par son caractère et son esprit, par une idiosyncrasie intrigante. A la fois transgressif et respectueux, désinvolte et sérieux. Une sorte de punk à la québécoise. Un oxymore sur pattes. Peut-être la voie de la sagesse par l’opération d’une synthèse qui mène à la tempérance.

Le livre, censé être centré sur la mémoire du paternel André Sfar, ne respecte aucune structure et c’est tant mieux ; ça part dans tous les sens. L’anecdote surgit après la réflexion, le souvenir après la déclaration. L’ensemble est signifié par un style parlé où l’on ressent que Sfar écrit comme il aurait l’habitude de s’exprimer, ce qui donne un ton direct, fleuri et percutant au texte, évidement sublimé par son « petit » talent.

On y apprend notamment qu’en ce temps là à Nice, une méta-police hébraïque défendait chèrement l’intégrité des pierres constituant la synagogue et qu’un jeune juif pouvait avoir un pote skinhead s’il répondait à l’injonction majeure de la sympathie, s’il en allait ainsi de sa nature cachée.

Pour conclure, une autobiographie fragmentaire, un alignement de réminiscences parcellaires autour du père et du judaïsme (c’est ici la même chose), de sa mère disparue trop tôt, de son ex-compagne et de tout un tas de petits sujets qui, glissés au milieu des thèmes tutélaires, font tout le sel du bouquin.

Sfar s’inscrit comme un touche-à-tout heureux et démontre que la pluridisciplinarité artistique reste légale pour peu qu’on en ait l’adresse et l’aisance, et réactive ce que je crois être une vieille tradition française dans la veine des Cocteau, Guitry ou autre Pagnol.




Samuel d’Halescourt

mardi 7 février 2017

La route – Cormac Mc Carthy (2007) Note : 12/20

Prose de la dernière lumière


Les personnages, un homme et son fils, n’ont pas de noms. Relégués au rang d’ectoplasmes errant dans des paysages plus ou moins urbains, recouverts de cendres. Peu importe leur identité, ils sont déjà morts, la désolation ayant tout emporté.

Un goût d’apocalypse envahit le moindre de leurs gestes, de leurs paroles, conditionnés par la nécessité que confère l’impératif de la survie. C’est la mise en mot d’un grand sentiment d’absurde qui nous étreint face à la fin des temps, des dernières convulsions d’une poignée d’hommes sur terre.

Le livre est savamment, minutieusement découpé en minuscules chapitres, presque des versets, d’un ou deux paragraphes tout au plus qui s’agglutinent entre eux et déroulent la cauchemardesque agonie de nos héros.

Comme si un dieu assoupi ouvrait régulièrement les yeux pour voir où en sont ses dernières créatures, leur avancement au milieu des cendres. Un dieu, qui n’ayant plus de fidèles pour lui donner persistance par consciences interconnectées, s’éteindrait lui aussi à tout jamais tel un soleil obstrué par un hiver nucléaire. Et ce démiurge, en l’espèce, c’est Mc Carthy qui signe à la fois la fin des hommes et la fin de sa carrière littéraire dans un même élan crépusculaire.

Là où ça pèche, le grand défaut du livre, c’est le style bien trop sommaire, accompagné d’un vocabulaire des plus minimales. Quant aux multiples tentatives de produire de la prose, ça tombe irrémédiablement à plat, aucun effet poétique ne l’emporte. Un peu léger pour un prix Pulitzer !

Pour conclure, « la route » est une œuvre moyenne, qui aurait son petit éclat chez un aficionado du post-apocalyptique mais une faible importance dans un transgenre littéraire globalisant.

Ayant vu le film d’Hillcoat avant de découvrir le bouquin, je pensais naïvement qu’il y avait bien plus dans le second que dans le premier, qu’il s’y trouvait peut-être des réflexions hautement philosophiques intraduisibles à l’écran d’où sa relative propension au rien. Eh bien non, le film est fidèle au livre, inconséquent !

Mais il demeure néanmoins un élément captivant, c’est cette obsession des cendres. Car il y est toujours question de cendres, le monde étant visiblement devenu un immense cendrier.




Samuel d’Halescourt