mardi 26 septembre 2017

Les portes de la perception (1954) – Aldous Huxley Note : 15/20

L’ignoble festif a remplacé l’expérimentation scientifico-chamanique


D’abord déçu de constater que « Les portes de la perception » à proprement parler n’était en fait qu’un court texte dans un recueil qui en compte beaucoup d’autres et sur lesquels nous reviendrons ultérieurement.

Ma contrariété passée, je découvris un texte bien décevant, eu égard à son aura légendaire, qui engendre, il faut bien l’avouer, une légère pointe d’ennui malgré ses qualités incontestables. Notamment celle de traiter avec le plus grand sérieux sa prise de mescaline sous le contrôle d’un médecin, témoin de son expérimentation.

On est loin de la crétinerie hédoniste de notre époque vis-à-vis des drogues. On est là face à un écrivain d’âge mûr qui décide de manière raisonnée d’explorer les méandres encore cachés de son cerveau pour produire avec plus de clarté une œuvre d’art, en l’occurrence « Les portes de la perception ». Car en tout instant et en tout lieu, la seule justification à la prise de psychotropes est la création qui doit naturellement en découler. Les perturbateurs du réel, pour les artistes ! Que les autres, improductifs, restent à la camomille.

Quant au reste du livre, c’est des plus intéressants, toujours dans un style très austère, Huxley y dévoile sa part authentiquement mystique, théosophique, admirateur du divin dans la jouissance d’une entière liberté.

Pour conclure, l’œuvre culte d’un écrivain qui l’est tout autant qui réjouit par son traitement sérieux, universitaire, de l’absorption de plantes chamaniques qui ne sont pas l’apanage de quelques hippies autodestructeurs. C’est finalement un récit de voyage mais intérieur, cérébral et domestique.

Un érudit qui se défonce aura toujours plus de choses à dire que les fêtards écervelés qui ne cherchent qu’à s’atomiser un peu plus. Merci Monsieur Huxley de réhabiliter les psychotropes dans le cadre qui leur sied, l’expérimentation scientifico-chamanique et le retour d’expérience par du concret, de l écrit !




Samuel d’Halescourt

mardi 12 septembre 2017

Le prophète – Khalil Gibran (1923) 14/20


Les sept sœurs du plaisir

Lorsque j'ai appris que cet ouvrage faisait partie de la bibliothèque du parfait petit hippie, cela m'a instantanément intrigué et je n'ai pas hésité cinq secondes à l'acheter quand je suis tombé dessus dans ma librairie mère au minuscule rayon de littérature arabe.

Ouvrage hautement mystique, d'une poésie profonde et si intelligible qu'elle en deviendrait suspecte.

Gibran donne vie à un prophète qui apparaît comme parfait : tolérant, poussant à la réflexion et à la contemplation, évoquant la simple surface de concepts pourtant complexes, pour en approcher le cœur depuis l'écorce.

Il apparaît évident que ce prophète, fait de bonté et de douceur, a tout pour ravir, contenter les occidentaux baignés dans la figure du Christ alors qu'il semble avoir été créé pour parler aux musulmans et abroger certaines de leurs doctrines. L’emblématique chapitre où il fait l'éloge des cheveux flottant dans le vent est une attaque en règle à l'obligation du port du voile.

J'imagine qu'il n'y a que les libanais dans le monde islamique pour apprécier ce texte car la provocation génératrice de fatwas se distingue clairement.

Pour conclure, un livre fantasmatique où Gibran livre la vision d'un prophète dont il aurait aimé être le disciple ou qu'il aurait aimé, dans une bouffée mégalomane, tout simplement être.

C'est à la fois moderne et archaïque, curieusement hors du temps ou miraculeusement intemporel.

Un court texte qui, sans chambouler l’âme ou révolutionner notre vision du monde, fait du bien, rassérène, nous montre qu'il peut exister des êtres sages, pleins de lumière et de tempérance, réconciliant les contraires avec un regard d'une mysticité bienveillante sur les choses et l'existence.

Et qui saura identifier les sept sœurs du plaisir. J'ai ma petite idée mais je vous laisse seul les découvrir.




Samuel d'Halescourt



samedi 2 septembre 2017

Guide des égarés – Jean d’Ormesson (2016) 18/20

Les notions d’un authentique esthète


Le mot qui convient le mieux pour définir Jean d’Ormesson est sans nul doute celui de sagacité. Sa finesse d’esprit se répand comme une légende. Il en démontre une fois de plus le complet instrument avec ce petit opuscule qui fait suite à sa trilogie sur le temps, l’univers et le rien. Un petit guide roboratif pour le commun des égarés.

D’Ormesson y développe quelques notions puissantes, qu’elles soient philosophiques, ésotériques ou poétiques. Son chapitre sur la joie est simplement somptueux, plein de délicatesse, de clairvoyance et d’intelligence et instantanément devenu chez moi aussi culte que l’éloge de la solitude dans le Zarathoustra de Nietzsche

Bien sûr on n’y apprend rien de nouveau, certains parleront de banalités ou de truismes. Nous ne saurions leur donner tort mais que celles-ci sont majestueusement formulées dans une langue limpide et efficace ; s’adonnant au plaisir de nous faire lire ce que l’on savait déjà ou ce que l’on subodore mais d’une perception nouvelle qui nous donne le sentiment d’avoir découvert comme une huitième couleur, l’octarine de Pratchett.

Et puis il y a l’ordre des sujets abordés qui ne s’enchaînent pas par hasard mais suivent une logique croissante d’importance, c’est ainsi que nous débutons par l’étonnement pour finir par la vérité, l’amour et puis Dieu, puisqu’il lui restait cinq minutes.

Pour conclure, un livre de peu de pages mais titanesque par la beauté du contenu. Jean d’Ormesson illumine la littérature française de son empreinte d’esthète toujours aussi naïvement profonde. Sa candeur nonagénaire relève du sublime et du génie. Sa culture et son expérience mises au service d’interrogations adolescentes qui viennent avec elles.

Jean d’Ormesson, maître incontesté du verbe, il est notre roi à tous, les fidèles sujets du royaume de l’écrit.




Samuel d’Halescourt