mercredi 30 septembre 2015

Carnage de Roman Polanski (2011) Note : 15/20

Carnage de Roman Polanski (2011)


Je crois au dieu du carnage !




Etonnant film de la part de Polanski. Un exercice de style, un huis-clos mordant, la confrontation de civilités qui s’effritent.

Deux couples New-Yorkais discutant du fait que le fils des uns à briser deux dents au fils des autres avant que le carnage, la rafale des reproches entre couple et inter-couple ne démarre.

Par conséquent le film ne commence vraiment que lorsque Kate Winslet vomit sur la table basse. Jusqu’alors ce n’était qu’une mise en place, en situation, des éléments qui permettront la déflagration quand les premiers verres de whisky seront servis. Deshinibés, la bienséance s’estompant, le jeu de massacre débutera, le ressentiment enfin libéré.

Les acteurs sont excellents. Il en fallait de ce calibre là, de cette épaisseur pour faire tenir les une heure et quart de palabres sur leurs huit épaules.

Chaque personnage est bien travaillé, au caractère et aux attitudes uniques, avec une petite préférence pour celui de Jodie Foster, caricature de bobo à New York comme à Paris, qui se soucie davantage du sort des « nègres du Soudan » (citation du film, je précise) qu’à celui de son entourage direct et qui nous propose une joyeuse variation de l’hystérie rageuse.

Une tentative de lever le voile sur ces citoyens américains bien sous tous rapports, qui s’engluent inévitablement dans une mer d’incompréhension.

Pour conclure, une œuvre sûrement difficile à réaliser au vue des contraintes narratives qui pesaient sur elle mais Polanski s’en sort bien et polit une nouvelle facette du diamant cinématographique qu’il est. Un gamin défiguré, une sombre histoire de hamster abandonné, un téléphone portable non étanche, un séchoir et des fleurs ravagées, autant d’entrées dans le giron d’un sublime carnage.

J’aurai finalement retenu deux choses fondamentales de ce film : la puissance des non-dits de la petite bourgeoisie occidentale et la valeur de vérité de l’éthylisme.








Samuel d’Halescourt

dimanche 27 septembre 2015

Quatrième message du Kindred

Quatrième message du Kindred

Floyd et son tropisme


Floyd est remonté au salon, ses deux cents kilos encastrés dans le cuir synthétique du canapé deux places vissé au sol. Il s’est mis torse nu et sa graisse s’agglutine comme de la matière molle autour d’un axe immobile. Il bourre le foyer de son bang des derniers décigrammes d’une herbe saupoudrée de diacétylmorphine avant de l’allumer et de caler son souffle sur une obsessionnelle aspiration.

Toute la machinerie se met à trembler. La fumée remonte le tube rouge, translucide et fluorescent. Les vapeurs de la substance psychotrope vont attaquer son cerveau pour plusieurs heures.

J’ai moi-même consommé beaucoup de cannabis étant jeune, de l’adolescence au début de l’âge adulte mais j’ai finalement compris que ce n’était pas pour moi. L’aphasie, la perte de vigilance et de vigueur, la paranoïa et l’angoisse, tout cela ne me sied guère. Je préfère mille fois l’alcool, là est ma vraie drogue, celle qui me correspond, ontologique et fidèle à mon ascendanc
e catholique.

Toujours est-il que ce gros rejeton de demi-félon à la longue tignasse est ce qu’il serait coutumier d’appeler mon meilleur ami, dans la définition générale que l’on en donne.

Son père était un caïd, un des plus craints de tout Vance City. Un prédateur à la fois sauvage et sophistiqué, un ambitieux au chemin alternatif, une voie où l’on monte vite pour redescendre et s’aplatir quelques étages plus bas. Il purge actuellement une peine de 203 ans, incompressible, pour un quadruple meurtre en forme de règlement de compte, dans la principale station carcérale du système solaire que l’on surnomme l’aiguille. Un des plus grands bassins d’emplois avec New-Macao. Cinq cent mille détenus répartis dans une prison spatiale, orbitant entre les cailloux de la grande ceinture d’astéroïdes, entre Mars et Jupiter. La plus grande concentration de détraqués et d’assassins que l’humanité ait jamais connue.

Son géniteur fait partie de ces condamnés, de ces zombies numérotés et surveillés, pour lequel il ne peut rien faire si ce n’est lui rendre visite tous les six mois et lui payer quelques cartouches de Jupiter’s.

Je vous recontacte prochainement



Samuel d’Halescourt

jeudi 24 septembre 2015

Si ce monde vous déplaît… et autres essais – Philip K. Dick (1995) Note : 14/20

Si ce monde vous déplaît… et autres essais – Philip K. Dick (1995)

Dieu, androïdes et mondes parallèles


Une anthologie de quatre discours, écrits et délivrés entre 1972 et 1978, en pleine époque mystique de Dick.

J’imagine la tête de ceux qui ont assisté à ces conférences et qui s’attendaient à un auteur de science-fiction certes génial mais banal et qui se retrouvent face à une graine de prophète.

Ce bouquin prouve une fois de plus que les véritables philosophes du XXème siècle sont les auteurs de science-fiction qui, anticipant des mondes futurs, y apposent des morales nouvelles que nos descendants auront le devoir d’appliquer. Et à ce jeu là Dick est un roi, une sommité de la discipline : il explose un Heidegger, terrasse un Sartre et piétine un Deleuze.

Par l’imaginaire, la prospective, il établit les codes d’une humanité future. Le nouveau Jules Verne sans aucun doute, le mysticisme et le psychédélisme en plus.

Robot, androïde, réplicant ou cyborg, peu importe la terminologie même si chacun répond à une définition bien précise, Dick en livre une réflexion à l’aune de l’humanité. Ces simulacres inquiètent Dick et il en donne les raisons profondes !

Dieu, qu’il appelle le Programmateur-Reprogrammateur, est influence et référence constante dans son discours. L’image du poisson, symbole des premiers chrétiens persécutés par l’empire Romain, est la clef de voûte qui le maintient dans la paranoïa tout en l’en délivrant.

S’excitant sur Nixon qui est pour lui le diable, l’incarnation du mal, une émanation de l’antéchrist qui subit une punition divine par le truchement du Watergate.

Pour conclure, un livre essentiel pour la compréhension globale de l’œuvre de Philip K. Dick, souvent barrée et excessive, mais frappée du sceau de la sincérité.

Sa définition du réel est merveilleuse et implacable : « la réalité c’est ce qui, quand on cesse d’y croire, ne s’en va pas ». Et puis sa blague du patient qui dit à son psychiatre, docteur j’ai l’impression que quelqu’un met un produit dans mes aliments pour me rendre paranoïaque.
Le serpent qui se mord la queue, tout Dick y est résumé.




Samuel d’Halescourt



dimanche 20 septembre 2015

Troisième message du Kindred

Troisième message du Kindred

Un moteur à la con


Floyd m’informe que l’injecteur ionique est mort et que son remplacement nous coûtera 4000 hélio-dollar sans compter la main d’œuvre. On est pris à la gorge, c’est ça ou la condamnation à faire le pied de grue sur une planète des plus moribondes et inhospitalières ad vitam aeternam. On se boit une petite bière, une Bradburry brune, adossés au vaisseau en attendant le mécanicien

J’ai la sensation étrange que rien ne se déroulera comme prévu. Que le grand ordonnateur a décidé de nous entraver, de nous mettre des bâtons dans les roues, de compromettre nos plans les mieux ordonnés. Le mécanicien s’est ramené alors que je jetais un coup d’œil au moteur qui m’apparaît comme un monstre de métal impénétrable. Un léviathan technologique aux multiples ramifications, une bête mécanique, démoniaque, de feux éruptifs et d’alliages surchauffés.
Je tends la carte du vaisseau à l’employé qui la scanne sur sa tablette professionnelle. Sur son écran doit s’afficher la carte d’identité du Kindred :
  • Propriétaire : Eewar Al-Mecca
  • Immatriculation : 3012 PL 36 A
  • Constructeur : Asimov Century III
  • Numéro de série : 2907
  • Type de moteur : Andrevon IV première génération
  • Année de construction : 2441

Le type sortit un paquet de Jupiter’s et s’en alluma une avant de dire :

  • Vous êtes immatriculé Pluton, vous cherchez les problèmes ?
  • Ça, ça nous regarde ! rétorquais-je
  • Ça regardera aussi les douaniers qui viendront sûrement vous rendre visite !

Je laisse Floyd deviser avec notre nouvel ami sur la panne qui nous rassemble devant la coque grande ouverte. Cela ne peut faire que du bien au propulseur de prendre un peu l’air, cette antiquité manufacturée, rafistolée de partout qui peut trembler comme une chaudière proche de l’explosion. Cet hybride plasmatique alimenté par un réacteur à fusion nucléaire n’en n’a plus que pour une décennie avant de finir au recyclage.

Je remonte dans la minuscule pièce qui me sert de bureau, me sers une vodka et attaque le « Paul Verlaine » de Zweig. Dehors tout est calme, l’astroport du dôme Cherryh est un havre de paix des plus salutaires.

Je vous recontacte prochainement.



Samuel d’Halescourt

mercredi 16 septembre 2015

The Social Network de David Fincher (2010) Note : 17/20

The Social Network de David Fincher (2010)

Enlevez le « the », juste Facebook !


Du bon Fincher, comme d’habitude mais à la qualité encore rehaussée. Un film pour l’histoire, marqueur d’une génération, aussi important que le fut « easy rider » en son temps, seules les bécanes ont changé, passant de la moto à l’ordinateur. La voix off survitaminée de Zuckerberg fait également penser à celle de Trainspothing.

La thèse du film est simple et se résume en un seul questionnement : à qui appartient une idée, à celui que l’a et n’en fait rien ou à celui qui a les capacités et la volonté de la développer ?

La scène d’ouverture est incroyable, un dialogue au couteau, digne de celle de « réservoir dogs », qui annonce un film du même tonneau, brillant, haletant et submergeant.

Après quoi, se succèdent des plans qui suivent Zuckerberg traversant Harvard et puis le plus intéressant, un montage où l’on voit des jeunes, qui ont tout pour eux, faire la fête et notre héros dans son coin ourdir sa vengeance. C’est magistral, cela sous-tend que ceux qui ont la beauté et la richesse sont des improductifs, des homo festivus, et que ceux qui en sont dépourvus, les inadaptés, sont les seuls capables de création de par une volonté de puissance encore inassouvie.

A noter la petite référence à Karaté Kid qui fait toujours plaisir quand les frères Winkelvoss évoquent la possibilité de se déguiser en squelette.

La présence de Rooney Mara est un vrai plus, cette actrice est proprement géniale, son charisme illumine les quelques séquences où elle apparaît.

Pour conclure, une œuvre incontournable de notre jeune modernité post-internet, une épopée contemporaine du capitalisme virtuel, d’une bulle spéculative traitée avec génie.

La lumière, l’ambiance, la progression de l’intrigue, tout est parfait. L’ascension de Zuckerberg, parti de rien et se constituant un empire étape par étape, est palpitante. Le nouveau monde avec les géants de l’internet : Google, Youtube et Facebook, s’invente sous nos yeux, à base de code algorithmique et d’ingéniosité.

Le film s’achève sur la sauterie organisée pour le premier million de comptes Facebook. Aujourd’hui nous en sommes largement au-delà du milliard. Quelles limites pour Zuckerberg ?

Evidemment que rien n’a dû se passer comme le film le montre et pourtant tout paraît vraisemblable. Un pur thriller informatique.




Samuel d’Halescourt

dimanche 13 septembre 2015

Une simple lettre d’amour (2015) – Yann Moix Note : 11/20

Une simple lettre d’amour (2015) – Yann Moix 11/20


Autopsie superficielle des sentiments




J’ai un bureau, c’est la table de ma cuisine, est-ce que je mérite le peloton d’exécution ? Quant au mot blême, il ne me dérange pas à ce titre qu’il apparaît dans ce qui est sûrement le plus beau poème de Verlaine « Mon rêve familier ».

J’ai dû procéder à une deuxième lecture de l’ouvrage tellement il ne m’en était rien resté. Est-ce ma mémoire qui défaille, qui sélectionne ou est-ce ici la preuve de la grande vacuité littéraire de Moix ?

Moix aime jouer avec les mots, en construire des associations insolites dont certaines claquent et d’autres sont d’une laideur épouvantable, comme si enfermé dans un monde clos, différent du nôtre, il écrit ce qui chez lui sonne juste et dissone chez les formatés de la belle langue. Son autisme prosodique ne parle qu’à lui-même et je ne suis pas à l’abri d’être atteint d’un mal similaire.

Une lettre d’amour, entre rancœur et analyse, constat d’échec, d’incompatibilité, déballage d’un ressentiment irréconciliable.

Enfin une lettre, plutôt un long poème, une longue litanie en prose, du moins pour la première partie du bouquin, la seconde étant plus douce à l’intellect, des réflexions qui font parfois mouche sur l’universel masculin.

Pour conclure, un livre inutile, du vent sur papier, de l’ampoulé moderne, Moix dans ses pires inclinations.

Il joue à l’original, au créateur de nouvelles formes, au déstructurant et ça tombe lamentablement au fond d’un abîme littéraire, même si je salue la volonté et l’ambition de proposer et produire.

Une minuscule brique dans le mur d’un édifice dont le temps jugera de la valeur.








Samuel d’Halescourt


mercredi 9 septembre 2015

Deuxième message du Kindred

Deuxième message du Kindred

Avarie et atelier coiffure


Encore ce foutu moteur qui fait des siennes ! Je rêve d’accumuler assez de fric pour le changer. Me payer un Andrevon V ou un Herbert 5000 mais pour ça il faudrait débourser pas loin de 250 000 helio-dollar (HD) et pas pour du neuf mais pour de l’occasion.

Le propulseur est tombé en rade dix heures après avoir quitté Mars. L’inertie nous a tout de même mené à destination, mais avec quel retard !

Le dôme Cherryh et son astroport nous ouvrent les bras. On nous octroie la place 307 et pour 150 HD par jour le Kindred est chez lui.

C’est la troisième fois que je fous les pieds sur Ganymède et sans être des expériences désastreuses ça n’a jamais été la panacée.

Avant de sortir du vaisseau, je demande à Floyd de me passer un coup de rasoir, de réajuster ma crête et d’en renouveler la coloration bleue métal. Il s’exécute en râlant qu’il n’a quasiment plus de beuh et que je serais bien avisé de lui en acheter quelques grammes quand je descendrai en ville.

Floyd descelle la chambre du moteur après avoir tapé le code d’ouverture de la coque. Une tonne d’une fine technologie vieille de plus d’un demi-siècle considérée comme obsolète sauf pour les débrouillards de la contrebande céleste, les pèlerins du trafic, les errants mercantiles, les voyageurs du prohibé. Mercenaires de la nécessité, nous refourguons sans foi ni loi tout ce qui peut faire gonfler nos escarcelles. Frauduleux et sans aucune culpabilité, nous tirons notre épingle d’un jeu trop facile à contourner.

Mon associé s’y connaît en mécanique mais sur ce coup là il aura besoin de l’aide d’un professionnel et de quelques pièces de rechange. Un moteur c’est capricieux comme pas deux. Il doit bien y avoir une liste de cent cinquante composants indispensables au bon fonctionnement de l’ensemble et tous les six mois vous êtes mûrs pour la réparation, le changement de l’un d’entre eux.

Je remonte dans le Kindred pour passer deux messages. Le premier pour prévenir que les pastèques sont arrivées à notre destinataire. Le second à l’astroport pour demander le déplacement d’un mécanicien de la Ganymède Spaceship.

Après quoi je me réchauffe une soupe Ramen au poulet.

En pleine dégustation, je vous recontacte prochainement.



Samuel d’Halescourt

samedi 5 septembre 2015

Avatar de James Cameron (2009) Note : 14/20

Avatar de James Cameron (2009) 14/20

L’effet King-Kong ou l’apologie grossière du primitivisme


Fable écologique, métaphore de l’éradication des Indiens d’Amérique, celle de l’oppression des dernières tribus humaines, bloquées au paléolithique, harcelées par les intérêts du capital ou pur divertissement dépourvu d’allégorie ? Certainement un peu de ces quatre options

Un bataillon d’humains, constitué de militaires, scientifiques et administratifs, s’est installé sur la planète.

Leur but est d’exploiter un minerai rare se trouvant exactement sous un arbre gigantesque où vit une tribu extraterrestre, les Navi. L’affrontement est inévitable si les avatars échouent à la négociation.

Cameron aurait pu instaurer une certaine neutralité dans le point de vue et se contenter d’exposer deux logiques irréconciliables qui s’opposent avec ardeur. Mais il a choisi son camp, le scénario avec lui. La narration et sa manipulation se rangent du côté des bleus. Il nous pousse à privilégier l’esprit de justice à ce démodé esprit de corps, de race. Tout comme dans King-Kong, tout est fait pour nous convaincre de prendre parti pour l’exogène et de jubiler du massacre des nôtres. Même sous l’égide de l’image et du symbole, vous ne m’empêcherez pas de trouver cela partiellement malsain ; car je me tiens définitivement, rigoureusement du côté de mon espèce, fusse-t-elle la plus stupide que le cosmos ait jamais pondue, jusqu’a ce qu’un éclair d’intelligence m’oblige à une palinodie.

Cameron tente également de nous faire passer une bande de grands bleus archaïques, mi-secte, mi-communauté hippie, pour l’incarnation suprême de la pureté, ne faisant qu’un avec la nature la plus hostile, reliés à elle par une natte synaptique. Apologie grossière du primitivisme ! En toute honnêteté, quel est leur destin ? Vivre ainsi, indéfiniment, jusqu’à ce que l’univers devienne un immense glaçon et que tout s’éteigne. Nous, au moins, nous cherchons des réponses, nous ne restons pas là, les bras ballants, enfermés dans un temps cyclique, à attendre la fin sans le commencement d’un début de savoir métaphysique.

Pour conclure, ça reste un bon film de SF dans la forme et comment pourrait-il en être autrement au vue de la débauche de moyens financiers. L’histoire ressemble étrangement à celle développée dans le roman « Hestia » de Carolyn J. Cherryh avec la démesure et le système des avatars en plus.

Il y a également du Alien II dans la technologie militaire utilisée, en particulier les robots géants à la manœuvre facile.

Un film qui ravira les dépressifs à la recherche d’un ailleurs plus conciliant, tous les contempteurs de la civilisation occidentale et affligera les autres.




Samuel d’Halescourt