samedi 2 décembre 2017

Sixième antienne du Kindred

Du mythe et de sa véracité


Lovecraft l’avait subodoré. De sordides entités végètent, tapies dans l'ombre de cratères poussiéreux, prêtes à bondir et imposer leur culte.

Disséminées à la surface, dans le sous-sol et les profondeurs océaniques de toutes les planètes et satellites du système solaire, les plus dangereux des grands anciens, dormant du sommeil du juste, aux confins du nuage d'Oort sur des astres que l'on qualifie de nains.

Tentacules, trompes, cornes et peaux luisantes les caractérisent. Hantise des explorateurs et des aventuriers, elles surgissent au nom d'ordres ancestraux.

La légende dit qu'Howard Philipps avait mis la main, dans la bibliothèque de son père franc-maçon (initié de quelques hypothétiques arcanes), sur des livres affirmant leur présence au monde.

Quoi qu'il en fût, les choses s'avèrent bien réelles, rôdant dans de longs espaces vides et venues d'endroits si lointains et exotiques qu'ils confineraient à des dimensions parallèles.

Toujours la légende. Car il était aussi probable qu'elles furent conçues en laboratoire par des savants fous initiés à cet occultisme que l'on nomme le mythe de Cthulhu.

Cthulhu s'en repaît, aperçu sur Mars, Ganymède ou Sedna, les témoignages abondent sur l’incarnation charnelle du géant aux tentacules faciales. Le mythe fascine et la base de données est là, entretenue par une tripotée d'écrivains visionnaires.

Sa deuxième intuition qu'un livre peut rendre fou est là aussi confirmée par le tangible. De vieux grimoires quasiment anonymes attendent leurs lecteurs avec délectation, prêts à répandre leurs mots empoisonnés, du génie de la vérité, dans leurs cerveaux innocents et fragiles.

Aucun calibre, aucune arme ne vous sera efficace contre eux. Seuls leurs sbires prêteront le flanc à votre défouraille. Les princes immondes, eux, vous ratatineront.




Samuel d’Halescourt

lundi 13 novembre 2017

Vingtième message du Kindred

Dialogue des amitiés archaïques


Et Hawkmoon était un Bellemariste convaincu et assidu, presque fanatique. Un des traits caractéristiques de cette vie monacale consistait à se lever tous les jours aux aurores pour suivre les émissions de télé shopping sur la grande chaîne martienne francophone.

- Comment ça va keupon ? me balance l’orque en m’agrippant l’épaule gauche.
- Bien et toi Hawk ?
- Ça peut aller !
- Tu travailles toujours comme videur à l’Eden ?
- Y a pas mieux comme couverture ! Sauf que le patron est complètement allumé, il planque une tonne de C-4 dans une réserve secrète.
- Un mercenaire de l’ombre ?
- Ouais, spécialisé dans l’explosif, le roi des artificiers, il a tout un tas de trucs prêts à péter. D’ailleurs en parlant de ça, moi aussi je me suis lancé.
- T’as raison, faut faire du fric. Là est la vérité du monde !
- Mon profil est en ligne et les orques sont recherchés pour leur force de frappe. Toi aussi t’aurais ta place Eewar !
- Non merci, je reste fidèle à mes petits trafics, c’est moins dangereux.

Un ange est passé en moonwalk et Hawkmoon a continué :

- T’as vu le denier Star Wars ?
- Ouais ! moyen. Toute une trilogie sur le passé de Jabba le Hutt, au début je trouvais l’idée intéressante mais au final ça fait un peu long ! Surtout que le tas de graisse passe son temps à roupiller et à bouffer.
- Un peu comme ton pote Floyd !
- Ya de ça ! Mais t’inquiète il a de la ressource.
- Bon faut que je te laisse, je prends mon service à l’Eden dans vingt minutes.
- Ok, à la prochaine Hawk !
- Prends soin de toi mec !

La-dessus, je suis rentré. Parti retrouver mon studio douillet au neuvième étage d’un immeuble rue Stanley Kubrick.

Je vous recontacte prochainement.

Samuel d’Halescourt

jeudi 26 octobre 2017

Chronique des enfers


Chapitre I (5)



La part de mon enfance heureuse est gorgée de souvenirs d'images et d'odeurs, de visions bucoliques troublées par des bourrasques de vents poussiéreux et capricieux, de chevaux magnifiques montés par des cavaliers à l'air hiératique, de prairies immenses aux arbres solitaires, d'éclats de rire de marmots aux visages laiteux, de jeux traditionnels ou inventés dans l'instant, de camarades certes violents mais compréhensifs. Nous n'étions sujet à aucune contrainte si ce n'est la connaissance d'épopées divines et l'apprentissage de nombreux métiers.

Cet age ne s'encombrait d'aucune ambition, d'aucun rêve particulier sur le devenir, simplement le plaisir d’être au monde et d’évoluer au contact hasardeux du destin.

De ces années, une interrogation de mes petits camarades revenait sans cesse : « pourquoi tu ne te bats jamais ? » Je ne savais pas quoi répondre mais le fait était là ! Mon caractère pacifique, mon esprit profondément androgyne impropre à toute violence étaient bien réels. J'étais une énigme pour moi comme pour les autres.

Seuls mes plus proches, mon groupe d'amis, n'y voyaient rien de ridicule. Médi, Xima et Malène, liés par l'enfance et l'entraide. Je vous retrouverai un jour pour vous extirper à cette vie de misère, pour votre malheur à tous.

Médi était un colosse pour son jeune age et sa simple présence suffisait à dissuader d'éventuels harceleurs de venir nous chatouiller.

Xima était le fils du chef de la tribu et jouissait de ce fait d'avantages héréditaires, un mélange de respect et de mise à l'écart.
Quant à Malène, pourtant convoitée par d'autres groupes plus attrayants, conformes et prometteurs, elle s'était entichée de notre petit groupe de marginaux prépubères auquel elle apportait toute sa générosité et sa différence en plus de sa beauté et de son intelligence.

Les nombreuses transhumances dont nous suivions servilement l'itinéraire ne repassaient jamais deux fois au même endroit, ce qui nous donnait une impression de perpétuelle aventure mais de nous sentir comme étranger partout où nous atterrissions.




Samuel d'Halescourt

jeudi 12 octobre 2017

Chronique d’une fin de règne (2017) – Patrick Rambaud                           Note :  14/20

Un benêt confronté à l’histoire



L’ouvrage est meilleur que le précédent, consacré lui aussi au règne de François Hollande. Ce qui est dû non pas à une qualité renouvelée de l’auteur mais au fascinant foisonnement de l’actualité, entendez par là l’abondance des attentats terroristes sur notre sol. Quelque part l’impéritie reste flagrante et c’est le cadre qui tient en haleine.

Il s’y trouve également une moindre obsession pour Sarkozy même si celui-ci reste présent, son retour en politique le justifiant cette fois.

J’ai retenu deux erreurs factuelles : Duterte n’est pas le président de l’Indonésie mais des Philippines et Jean-Marie Le Pen n’a pas crié « Jeanne, sauve-nous » mais « Jeanne, au secours » au pied de la statue de celle-ci.

Ces chroniques aristocratisantes et médiévales mises au goût de notre temps nous permettent de nous repasser le film d’une mémoire fraîche, d’une actualité déjà devenue évènements incontournables de notre histoire. C’est donc par la force des choses, un livre plus sur la gestion d’un embryon de guerre civile que sur l’action à proprement parler d’un président aussi entravé en fin de mandat fût-il.

Comme pour « François le Petit », c’est finalement un livre qui n’a que peu d’intérêt pour nous autres, contemporains des faits, mais qui en aura pour les générations à venir. Dans cent ans, si la planète n’est pas devenue un barbecue géant, il en aura.

Pour conclure, Rambaud insiste, continue à caricaturer avec détermination les rois de son époque et cela, mine de rien, commence à constituer une part importante de son œuvre, peut-être même que l’on ne retiendra de lui que « la bataille » et ses chroniques de la brochette Sarkozy-Hollande, étendue à Macron si le cœur lui en dit.

Rambaud force-t-il le trait, prend-t-il plaisir à dénigrer nos présidents, ou sont-ils, hasard de l’histoire, intrinsèquement ridicules ?




Samuel d’Halescourt

mardi 26 septembre 2017

Les portes de la perception (1954) – Aldous Huxley Note : 15/20

L’ignoble festif a remplacé l’expérimentation scientifico-chamanique


D’abord déçu de constater que « Les portes de la perception » à proprement parler n’était en fait qu’un court texte dans un recueil qui en compte beaucoup d’autres et sur lesquels nous reviendrons ultérieurement.

Ma contrariété passée, je découvris un texte bien décevant, eu égard à son aura légendaire, qui engendre, il faut bien l’avouer, une légère pointe d’ennui malgré ses qualités incontestables. Notamment celle de traiter avec le plus grand sérieux sa prise de mescaline sous le contrôle d’un médecin, témoin de son expérimentation.

On est loin de la crétinerie hédoniste de notre époque vis-à-vis des drogues. On est là face à un écrivain d’âge mûr qui décide de manière raisonnée d’explorer les méandres encore cachés de son cerveau pour produire avec plus de clarté une œuvre d’art, en l’occurrence « Les portes de la perception ». Car en tout instant et en tout lieu, la seule justification à la prise de psychotropes est la création qui doit naturellement en découler. Les perturbateurs du réel, pour les artistes ! Que les autres, improductifs, restent à la camomille.

Quant au reste du livre, c’est des plus intéressants, toujours dans un style très austère, Huxley y dévoile sa part authentiquement mystique, théosophique, admirateur du divin dans la jouissance d’une entière liberté.

Pour conclure, l’œuvre culte d’un écrivain qui l’est tout autant qui réjouit par son traitement sérieux, universitaire, de l’absorption de plantes chamaniques qui ne sont pas l’apanage de quelques hippies autodestructeurs. C’est finalement un récit de voyage mais intérieur, cérébral et domestique.

Un érudit qui se défonce aura toujours plus de choses à dire que les fêtards écervelés qui ne cherchent qu’à s’atomiser un peu plus. Merci Monsieur Huxley de réhabiliter les psychotropes dans le cadre qui leur sied, l’expérimentation scientifico-chamanique et le retour d’expérience par du concret, de l écrit !




Samuel d’Halescourt

mardi 12 septembre 2017

Le prophète – Khalil Gibran (1923) 14/20


Les sept sœurs du plaisir

Lorsque j'ai appris que cet ouvrage faisait partie de la bibliothèque du parfait petit hippie, cela m'a instantanément intrigué et je n'ai pas hésité cinq secondes à l'acheter quand je suis tombé dessus dans ma librairie mère au minuscule rayon de littérature arabe.

Ouvrage hautement mystique, d'une poésie profonde et si intelligible qu'elle en deviendrait suspecte.

Gibran donne vie à un prophète qui apparaît comme parfait : tolérant, poussant à la réflexion et à la contemplation, évoquant la simple surface de concepts pourtant complexes, pour en approcher le cœur depuis l'écorce.

Il apparaît évident que ce prophète, fait de bonté et de douceur, a tout pour ravir, contenter les occidentaux baignés dans la figure du Christ alors qu'il semble avoir été créé pour parler aux musulmans et abroger certaines de leurs doctrines. L’emblématique chapitre où il fait l'éloge des cheveux flottant dans le vent est une attaque en règle à l'obligation du port du voile.

J'imagine qu'il n'y a que les libanais dans le monde islamique pour apprécier ce texte car la provocation génératrice de fatwas se distingue clairement.

Pour conclure, un livre fantasmatique où Gibran livre la vision d'un prophète dont il aurait aimé être le disciple ou qu'il aurait aimé, dans une bouffée mégalomane, tout simplement être.

C'est à la fois moderne et archaïque, curieusement hors du temps ou miraculeusement intemporel.

Un court texte qui, sans chambouler l’âme ou révolutionner notre vision du monde, fait du bien, rassérène, nous montre qu'il peut exister des êtres sages, pleins de lumière et de tempérance, réconciliant les contraires avec un regard d'une mysticité bienveillante sur les choses et l'existence.

Et qui saura identifier les sept sœurs du plaisir. J'ai ma petite idée mais je vous laisse seul les découvrir.




Samuel d'Halescourt



samedi 2 septembre 2017

Guide des égarés – Jean d’Ormesson (2016) 18/20

Les notions d’un authentique esthète


Le mot qui convient le mieux pour définir Jean d’Ormesson est sans nul doute celui de sagacité. Sa finesse d’esprit se répand comme une légende. Il en démontre une fois de plus le complet instrument avec ce petit opuscule qui fait suite à sa trilogie sur le temps, l’univers et le rien. Un petit guide roboratif pour le commun des égarés.

D’Ormesson y développe quelques notions puissantes, qu’elles soient philosophiques, ésotériques ou poétiques. Son chapitre sur la joie est simplement somptueux, plein de délicatesse, de clairvoyance et d’intelligence et instantanément devenu chez moi aussi culte que l’éloge de la solitude dans le Zarathoustra de Nietzsche

Bien sûr on n’y apprend rien de nouveau, certains parleront de banalités ou de truismes. Nous ne saurions leur donner tort mais que celles-ci sont majestueusement formulées dans une langue limpide et efficace ; s’adonnant au plaisir de nous faire lire ce que l’on savait déjà ou ce que l’on subodore mais d’une perception nouvelle qui nous donne le sentiment d’avoir découvert comme une huitième couleur, l’octarine de Pratchett.

Et puis il y a l’ordre des sujets abordés qui ne s’enchaînent pas par hasard mais suivent une logique croissante d’importance, c’est ainsi que nous débutons par l’étonnement pour finir par la vérité, l’amour et puis Dieu, puisqu’il lui restait cinq minutes.

Pour conclure, un livre de peu de pages mais titanesque par la beauté du contenu. Jean d’Ormesson illumine la littérature française de son empreinte d’esthète toujours aussi naïvement profonde. Sa candeur nonagénaire relève du sublime et du génie. Sa culture et son expérience mises au service d’interrogations adolescentes qui viennent avec elles.

Jean d’Ormesson, maître incontesté du verbe, il est notre roi à tous, les fidèles sujets du royaume de l’écrit.




Samuel d’Halescourt

dimanche 20 août 2017

 
Un quinquennat pour rien – Eric Zemmour (2016) 16/20


Zemmour le zemmourien va vous zemmouriser

Commençons par le plus massif, ces « chroniques de la guerre de civilisations » qui s'étendent de début 2013 à mi-2016. Zemmour y décortique de manière magistrale, dans un style brillant et toujours plein d'ironie, les circonvolutions de l'époque qui font l'actualité française et internationale.

Le mauvais procès que lui font ses adversaires qui méconnaissent la somme de son travail, va toujours dans le même sens, ressassement de marottes de type réactionnaire, alors que pour celui qui sait lire, les deux thèmes qui reviennent le plus souvent sont l'Allemagne et l'économie.

Mais, il est vrai que Zemmour tend le bâton pour se faire battre en débutant le livre par un court essai intitulé « La France au défi de l'islam » où sa thèse, cohérente pour qui veut adhérer à son système, apparaît comme des plus hardcores et virulentes au milieu de l'hégémonie d'une pensée médiatique qui ferait passer pour courageux l'adjectif irénique.

Zemmour retourne tout, y compris nos frêles cerveaux, en affirmant que la doxa n'a rien compris et que c'est même l'inverse qui fait office de vérité. A savoir que ce que l'on pensait être le bon musulman est en fait le mauvais et vice versa. Que celui qui nous semble sympathique car correspondant aux canons de nos veilles valeurs issues de la Chrétienté n'est en réalité qu'un mauvais musulman dans la mesure où il s'éloigne des doctrines incontestées et incontestables qu'il devrait suivre et appliquer.

De quoi faire trembler et vaciller plus d'un humaniste, le laissant errer pour un bon moment dans un flou intellectuel des plus profondément vertigineux.

Pour conclure, un intellectuel qui innove, surprend, contrecarre et nous invite à de profondes réflexions et remises en question. Un punk sans crête et même mal coiffé.

On a oublié les frères Zemmour qui agirent il y a quelques décennies dans le grand banditisme, mais ce Zemmour là, je vous fiche mon billet que l'on ne l'oubliera pas de sitôt.




Samuel d'Halescourt


samedi 29 juillet 2017

Un festin pour les corbeaux - George R.R. Martin (2005)    Note :  12/20

Le Trône de fer - tome 12

Volume de l’inutile transition




Peut-être le tome le plus décevant de la saga. Ca reste néanmoins correct mais il ne s’y passe rien de réellement important et on est noyé dans des chapitres consacrés à des personnages secondaires qui nous embrouillent et nous perdent plutôt que de nous éclairer sur le bon déroulement du récit.

Ne subsiste que cette langue mélodique, mélange de trivialité, de descriptions du commun et de rebondissements, de palpitantes surprises. C’est un chaud et froid permanent, mais quoi de plus naturel pour un Martin qui ambitionne de chanter la glace et le feu.

La saga reste hypnotique et la conclusion de ce quatrième cycle un soulagement et un contentement d’avoir inoculé à sa mémoire, transmutée en inconscient, cette ambiance sombre et médiévale qui fait tout le sel de ces douze premiers tomes.

On aurait presque l’impression d’avoir lu les rouleaux d’un texte sacré, d’une épopée antédiluvienne, vieille conservation scripturaire d’un passé mythifié.

Pour conclure, le « Dallas » de la fantasy poursuit sa course effrénée pour notre plus grand bonheur malgré quelques obscurités narratives et quelques personnages dont on ne sait que faire. Mais notre esprit perdu dans les méandres de cette forteresse littéraire saura en tirer de la joie et se repaître paradoxalement du charme de cet incompréhensible labyrinthe.

Bien au-delà de la défaillance du volume, quel plaisir de retrouver Brienne, Cersei, Arya (Cat des canaux) et Samwell dans les vicissitudes d’un destin fabriqué par la machine du dieu Martin.




Samuel d’Halescourt

lundi 24 juillet 2017

Contre-attaque – Philippe Sollers et Franck Nouchi (2016) 16/20

De la culture en lingots


La plus jubilatoire des gérontophilies est celle qui se veut littéraire. Je ne connais rien de plus passionnant que les vieux écrivains qui se penchent sur leur œuvre et leur parcours, qui affichent une vision personnelle du monde, acquise de haute lutte face aux années, témoin de leur maturation.


Je n’ai rien lu d’autre à ce jour de Philippe Sollers, mais cet entretien avec Franck Nouchi nous donne un aperçu du continent ignoré que représente son œuvre, d’autant plus que Sollers, plutôt avare en modestie, aime à se citer lui-même et à se prendre comme référence.

A la fois traditionnel et éparpilleur de dogmes, il oscille entre le respect des fondements de son éducation et la pensée la plus libre qui soit. Partout et nulle part, il s’authentifie comme un pur spécimen d’anarchiste de droite, à l’âme transparente et contradictoire.

Composé en pleine période d’attentats, ils devisent de l’islam et du Coran jusqu’à rappeler avec gourmandise que Rimbaud qualifiait celui-ci de « sagesse bâtarde » et qu’aujourd’hui de tels propos vaudraient excommunication médiatique.

Pour conclure, le testament d’un homme de culture qui lui a consacré sa vie, qui en a fait le serment d’apprentissage, d’accumulation et de restauration.

Un livre sur quelques passions françaises, du Maoïsme au catholicisme ; c’est un plaisir de discuter (si les livres sont des discussions) avec un écrivain aussi iconoclaste et insaisissable.







Samuel d’Halescourt

mardi 27 juin 2017

Terreur – Yann Moix (2016) 14/20

L’inverse au carré


Si vous cherchiez quelques éclaircissements, quelques éléments de réponse sur le pourquoi du comment de la vague d’attentats islamistes que subit l’Europe depuis plus de deux ans, passez votre chemin. Vous n’y trouverez rien de concret, de conceptuellement satisfaisant, mais un ramassis de tautologies amphigouriques dont Moix se révèle être le roi.

Je ne nie pas le potentiel plaisir que l’on peut prendre à la lecture du tortueux et de l’alambiqué, mais finalement ce qu’il en reste c’est cette question anecdotique qui perturbe pourtant Moix : pourquoi certains terroristes ont l’honneur d’une fiche wikipédia et d’autres non ?

Les deux chapitres véritablement intéressants et qui auraient mérité d’être publiés en fascicule sont ceux établissant l’historique des attentats anarchistes et l’analyse du mouvement punk.

Le premier récapitule, évènement par événement, les différents attentats nés des mouvances anarchistes qui ont ensanglanté l’époque. Et bien que le parallèle sur le modus operandi est pertinent, il l’est beaucoup moins lorsque l’on examine sérieusement les motivations.

Quant à l’analogie avec les keupons, là c’est carrément n’importe quoi, mais le portait psychologique qu’il dresse du punk typique est assez juste et relèverait presque de la poésie, tendance Lautréamont.

Pour conclure, un livre bien faible, sans constance, uniquement sauvé par deux chapitres, pour le coup brillants, comme une quantité de graisse colossale sur deux os bien dessinés.

On y retrouve la façon de parler et de raisonner de Moix, proche de la tachypsychie, d’une crise réflexive. Un Moix qui penserait tout haut pour échafauder une pensée mais oublierait de la dégrossir pour en coucher sur le papier le pertinent substrat. Sans aucun esprit d’esthète, il nous en sert le brouillon.




Samuel d’Halescourt

lundi 26 juin 2017

Chronique des enfers

Chapitre I (4)


Pour commencer il y avait leurs mains, ces grosses pattes d’ours, lourdes et dodues, comparées aux miennes, des mains de poète, aux doigts rachitiques et délicats, capable de domestiquer par ses caresses tous les instruments de musique qui se présentaient, fussent-ils les plus rudimentaires.

Leur peau était étonnement blanche, presque d’albâtre, d’un crème immaculé alors que la mienne se voulait beaucoup plus cuivrée, définitivement complice du soleil et apparue à la nature dans une terre plus australe.

Leur nez était rond et volumineux, couperosé chez les plus anciens. Le mien détonnait, hautement aquilin, il était d’une autre engeance, d’autres contrées.

Et puis cet œil gauche blanchi que portaient tous les mâles de la tribu, maladie dégénérative qui apparaissait avec la puberté. Cette bille nacrée, enfoncée dans l’orifice oculaire, ce colifichet qu’ils portaient comme un trophée. Pour rien au monde ils n’en auraient cherché le remède, c’était leur particularité d’homme, leur passage à l’âge adulte, une fierté grossière et primitive. Le mien, d’œil, ne blanchirait jamais et cette différence fondamentale s’affirmant, je ne pourrais que constater l’exclusion.

Bien que pourvu de parents reconnus et officiels, l’éducation se faisait par la communauté, grande famille où chacun avait son mot à dire. Et les méthodes étaient plus que suspectes, les adultes se révélant être les rois du pancrace éducatif. Coups de pieds, coups de poings, tout y passait. Mon corps en était le réceptacle et aucune zone ne souffrait de discrimination. Et maltraité, du fait de ma complète bâtardise, je le fus plus que les autres souvent dans des élans de gratuité qui allumait en moi le terrible sentiment d’injustice. Parmi les femmes, certaines étaient tendres évidemment, mais c’est la brutalité et la violence qui marquent au fer rouge. Avec le temps et ma position, le ressentiment s’est évaporé mais je dois reconnaître que cet antécédent aura sûrement participé à mon long parcours chaotique, à ne pas grandir sereinement.

Au milieu de cette rusticité, y aurait-il des souvenirs relevant de la joie et du bonheur ?




Samuel d’Halescourt

lundi 12 juin 2017

The Crow d’Alex Proyas (1994) Note : 16/20

Maman est le deuxième nom de Dieu


Eric Draven, revenu d’entre les morts, moitié vampire, moitié zombie, le corbeau blanc vengeur. Se peinturlurant le visage comme le Joker, il s’en va dessouder les tortionnaires de sa défunte femme les uns après les autres jusqu’à l’affrontement final façon Highlander. Combat à l’épée sur le toit d’une église, tout l’esprit gothique du film y est résumé.

On pourrait légitimement penser que l’acteur principal du film n’est pas Brandon Lee mais Ernie Hudson. Au centre de tout, ce petit flic revêche erre dans cette ville chaotique où les bandes mafieuses et dégénérées font la loi à l’instar de celle de Michael Wincott. Lien entre tous et élément décisif à l’église.

Film de vengeance ésotérique, catégorie rare, qui clôt définitivement le cinéma des années 80, il en est la dernière trace, la marque terminale, la queue de comète.

Un film à la fois punkoïde et métalleux où une anarchie prégnante enveloppe une ville censée être contrôlée par une flicaille dépassée. Solo de guitare sur les toits à l’appui.

On y retrouve tous les éléments d’une cité américaine en décrépitude : la prostituée, le prêteur sur gage, la jeune fille pure au skateboard, le vendeur de hot-dog, le flic au grand cœur rabaissé par sa hiérarchie pour cause d’initiative et puis sa cargaison de criminels, rois du couteau ou de la seringue.

Pour conclure, un film culte pour tous ceux qui l’ont appréhendé au tournant de l’adolescence, la tête bourrée d’une iconographie rock et l’intuition d’un futur déliquescent.

« The crow » est un film éminemment moral où la cruauté trouvera toujours maille à partie avec un justicier déterminé, fusse-t-il d’outre-tombe et lié à un simple corbeau.




Samuel d’Halescourt

mercredi 17 mai 2017

Ronin de John Frankenheimer (1998) Note : 13/20



“Seppu...Seppu...quoi ?”


Film au combien shadowrunesque, tout du moins de sa première heure où un mystérieux commanditaire recrute des individualités, toutes professionnelles dans leur domaine d’action, pour mener à bien une mission délicate, le vol d’une mystérieuse mallette.

C’est d’ailleurs excellent, prenant et haletant jusqu’à l’exécution de ladite mission avant de sombrer, dans la deuxième heure du film, dans des scènes plus bateaux les unes que les autres, dans des clichés propres au mauvais cinéma.

Seule la séquence avec Michael Lonsdale relève le niveau avec son diorama représentant la légende des 47 ronins dont il évoque l’histoire (dont le seppuku final) et informe ainsi De Niro de son statut de ronin dont il ignorait tout. En dehors de ça, le casting est assez idéal, suffisamment hétéroclite pour le rendre palpitant et intriguant à l’instar d’un bon « Mission Impossible », autre référence shadowrunique.

Le Paris qui nous est présenté nage entre deux eaux, contenu entre ses éternels bas-fonds et le charme de ses cafés vétustes qui n’existent plus guère.

Jean Réno, le régional de l’étape, incarne là certainement un de ses meilleurs rôles, dans la veine traditionnelle de ses premiers personnages, un français taciturne riche d’une vie intérieure, à la fois hautement viril et à la tendresse débordante, qualité dévoilée au contact de De Niro et de la belle amitié naissante qui les liera jusqu’à la scène finale.

Pour conclure, un bon petit film d’action, original pour ses lieux de tournage et sa mise en scène qui invoque des classiques comme « La Main au collet » ou « French Connection », rappelant de furieuses courses poursuites automobiles.

Mais le tout finit en un imbroglio vacillant sur fond de patinage artistique, bien fade face au gymkhana sauvage qui nous avait été proposé jusque là.

Seppuku, le suicide rituel des anciens samouraïs. Ronin est une porte déguisée sur la découverte d’un monde plus vaste, celui du japon traditionnel et ancestral.




Samuel d’Halescourt

lundi 24 avril 2017

Underworld 3 : Le soulèvement des lycans de Patrick Tatopoulos (2009) 11/20

Sortez les balistes !


Quand Spartacus rencontre Roméo et Juliette par l’entremise de la littérature gothique du XIXème siècle cela donne ce soulèvement des lycans. Entre pauvreté du scénario, atmosphère fidèle aux précédents et réalisation tout juste acceptable, le film s’inscrit dans une passabilité qui, poussée au maximum de ses possibilités artistiques, lui fait échapper de peu à une forme souterraine de médiocrité.

Il y a quelques belles séquences, quelques moments réussis. J’invoquerai la scène de la diligence, le pilonnage du couloir à coups de flèches géantes ou la mise en cendres de l’héroïne vampirique par soleil interposé, malencontreusement amoureuse du mauvais loup-garou, d’un loup-garou tout court. A ce sujet on apprend cette fois de façon claire qu’il existe deux engeances de lycans. Ceux qui peuvent prendre forme humaine et se métamorphoser à l’envie et puis les chimiquement purs ou les archaïques qui demeurent éternellement sous forme garou, dans une sauvagerie inextinguible.

Bill Nighy est très bon, livrant une performance étonnante qui éclate de son talent le petit statut de série B de cette révolte d’esclaves poilus. Il restera une des meilleures incarnations de cette créature mythique que l’on nomme vampire au cinéma.

Pour conclure, un troisième volet, finalement assez ambitieux, qui prend le contre pied des deux premiers pour nous narrer la genèse du conflit et de l’antagonisme des deux races mais qui pâtit du manque de sens artistique des demi-tacherons qui gèrent cette franchise.

Ne boudons pas le plaisir de rôliste que constitue l’affrontement d’espèces célébrissimes issues de l’imaginaire gothique et romantique de ces originaux créateurs et l’étude sociologique et méta-antropologue observée par ce film. Une sorte de cryptozoologie cinématographique.




Samuel d’Halescourt

samedi 22 avril 2017

Chronique des enfers

Chapitre I (3)


Elle s’appelait Naïla et devait avoir le même âge que moi. En pleurant et geignant, elle se débattait à s’en désarticuler, maintenue fermement par ses parents devant l’entrée d’une yourte sacrée, contrainte de participer à une cérémonie ritualisée. Elle hurlait et s’agitait comme si on l’emmenait à l’abattoir. Comme possédée par l’esprit de l’autodétermination.

Cette vision m’a profondément marqué et ne m’a plus jamais quitté. Elle était porteuse de tout ce qui nourrira plus tard mon ressentiment à l’égard de l’existence. A peine conscient, je savais désormais que la vie serait dure et brutale. Contraint par des règles sociales iniques, leurs dominations seraient totales. Aucune échappatoire, la souffrance ne faisait que commencer. Je pouvais moi aussi me débattre à m’en désarticuler, la force en jeu est d’une autre grandeur, elle nous met à genoux, la lutte est vaine.

J’y vois également la révélation précoce des grands ordonnateurs du vivant, des entités cosmiques et de leurs plans machiavéliques.

Par mon détachement et ma nature observatrice, j’ai compris qu’il n’y avait que deux routes, deux voies possibles. L’on est soumis aux autres hommes ou l’on est soumis à Dieu, c’est-à-dire à soi-même. Car ce dieu choisi dans le catalogue vous accordera toutes les libéralités pour peu que vous suiviez votre intuition et votre instinct.

C’est avec cette expérience que je me détache à jamais de la tyrannie des hommes et de leurs conventions pour convoquer le divin et mon rapport direct avec lui, authentiquement mystique.

Et ce ne sera aucun des dieux des Nah Hassar que je rejetterai les uns après les autres mais celui que ma quête irréfrénée, entre mon âme et le couronnement supérieur, mettra sur mon chemin. Celui dont la doctrine répondra et épousera les raisonnements de mon intériorité bien qu’elle fût distordue par mes névroses et mes passions, apanage d’une jeunesse trop furieuse pour s’appesantir sur une analyse sérieuse de son moi. Distorsion qui sera encore accentuée par la découverte de mes différences physiques avec le reste des membres de la tribu.




Samuel d’Halescourt

vendredi 14 avril 2017

Le petit gars qui se roulait par terre – Patrick Eudeline (2016) Note : 12/20


Quand les Johnny H. étaient pléthoriques


Petit ouvrage sympathique de Patrick Eudeline dans la collection Incipit, qui devient de plus en plus passionnante au fur et à mesure des parutions.

Ici, c’est l’aventure quotidienne d’un jeune français lambda en 1960, frénétiquement épris de musique rock et de son esprit, sans la connaître véritablement, à une époque où culture underground était synonyme d’introuvabilité.

Et c’est au milieu de la petite vie de Freddy et de ses potes que celui qui deviendra légende, Johnny Hallyday, fait sa première apparition à la télévision et séduit tous les demi-loubards et autres amateurs de 400 coups en milieu urbain, surtout parisien.

Le style d’Eudeline incarne assez bien l’ambiance et le caractère de cette époque. Un endroit du temps où les racailles de l’époque, les fameux blousons noirs, avaient plus d’éducation que la majorité des quidams d’aujourd’hui. Un calme et une sérénité difficilement imaginables de nos jours car suivant la sacro-sainte loi du progrès linéaire, rien ne saurait être enviable dans notre passé.

Freddy répond à l’injonction des trois désirs masculins de base de celui qui débute dans l’existence et que Johnny évoque dans son chef d’œuvre « Elle est terrible ». Ces trois désirs étant dans l’ordre : une femme, une voiture et une maison. Le tout ne pouvant être définitivement pérennisé que par l’obtention d’un travail honnête, loin des miettes proposées par la rue.

Pour conclure, Eudeline nous parle des origines, du plasma primordial d’où émergera toute une culture qui emportera tout avec elle, jusqu’à la respectabilité.

Il aborde également avec pertinence la question de l’amitié, complète et transcendantale que l’on peut vivre à ces âges précédant la majorité civile ; de ces nuits passées à discuter de tout et de rien lorsque l’on va pioncer les uns chez les autres. Quand le dénuement, la non possession et l’avenir incertain nous plongent dans un état de galère qui peut faire de nous d’authentiques frères.




Samuel d’Halescourt

jeudi 6 avril 2017

Chronique des enfers

Chapitre I (2)


Certains plaidaient pour que l’on me confie à un temple ou à un orphelinat. D’autres pour que l’on me ramène là où on m’avait trouvé. Un original voulait que l’on me sacrifie aux dieux en échange de grâces en tout genre de leurs parts. Enfin un couple, qui tentait désespérément de mettre au monde un enfant depuis une dizaine d’années, émit le souhait de m’adopter.

Après un échange confus et délétère pour la cohésion de la tribu qui dura une éternité, le chef, le grand sage et le chaman décidèrent d’évacuer les représentants et de décider par eux-mêmes sachant que personne n’oserait remettre en cause leur jugement.

Les trois autorités suprêmes disputèrent une heure entière avant d’énoncer leur sentence unanime : « cet enfant, nous le garderons et l’élèverons en le confiant à Lakmar et Sodaya comme ils en ont fait la demande. Mais attention, il devra comprendre, et ce dès son plus jeune âge, qu’il n’est pas tout à fait des nôtres ! »

Et c’est ainsi que quelques jours plus tard, je fus intronisé par un baptême rituel, sous l’égide du dieu du sang purifié, chez les Nach Hassar. Mes adoptants me nommèrent Haegel en l’honneur d’un obscur vieil oncle maternel mort en affrontant un demi-ogre lors d’une virée aventurière vingt ans auparavant.

La yourte familiale était une des plus imposantes, privilège dû au rang qu’impliquait le métier de mon père, il faisait office de maréchal soigneur, charge ancestrale qu’il avait héritée de ses aïeux. Quant à ma mère, en plus de ses occupations domestiques, elle s’adonnait à la poterie, dont elle approvisionnait toute une partie de la tribu, le surplus étant vendu une fois l’an sur le marché d’une grande place judicieusement choisie.

C’est dans ce contexte que je ferai mes premiers pas, non pas empli d’amour mais correctement choyé. J’aurais pu regretter de ne pas être abandonné sur les marches d’un temple. Mais puisque l’on juge toujours le passé en fonction de notre présent, j’estime que le destin a bien fait les choses.

Et bientôt viendra l’heure de mon premier souvenir alors que je n’avais que trois ans.




Samuel d’Halescourt

lundi 3 avril 2017

Un Fauve – Enguerrand Guépy (2016) Note : 14/20

Dans l’imaginaire peau de Patrick Dewaere


Livre découvert au détour d’une flânerie dans ma librairie mère où deux arguments de poids m’ont décidé à l’acheter. D’abord le sujet, les derniers jours du prodigieux acteur Patrick Dewaere et puis la bibliographie de l’auteur. Un type qui a écrit des ouvrages dont les titres sont « L’effervescence de la pitié » ou « Marie-Madeleine », revêtant un caractère clairement catholique ne pouvaient que susciter mon intérêt.

Je me demande qu’elle est le niveau d’enquête qu’a dû mener Guépy pour pénétrer à ce point sans douter dans la psyché de Dewaere. S’est-il contenté de se documenter, compilant articles et interviews ou a-t-il poussé le vice de l’investigation en rencontrant tous les protagonistes qu’il cite et met en scène dans son livre ; au premier chef Claude Lelouch, omniprésent dans l’ouvrage en qualité de dernier metteur en scène de l’artiste sur « Edith et Marcel ».

C’est correctement écrit, on voit que l’on a affaire à un écrivain sérieux, appliqué et cultivé mais rien de suffisamment transcendant qui puisse laisser dire que l’on est en présence d’une personnalité véritablement singulière.

La thèse du bouquin est que, comme son titre l’indique, Dewaere est un fauve incontrable et instinctif alors que Guépy s’échine à nous prouver que sa réputation est exagérée voire carrément erronée. Mais si c’est hypertrophié, où est le fauve ?

Pour conclure, une belle tentative littéraire, celle de nous plonger dans les derniers jours d’une légende du cinéma français avant son suicide inexorable.

La narration des quelques jours de tournage avec Lelouch et Evelyne Bouix est passionnante pour qui s’intéresse un tant soit peu au cinéma hexagonal.

Et puis ce chauffeur de taxi, qui semble envoyé du ciel, démoniaque ou angélique, dialoguant avec le fauve pour un peu mieux le perturber, restera un personnage éminemment mystérieux.




Samuel d’Halescourt

mercredi 29 mars 2017

Sur les chemins noirs (2016) – Sylvain Tesson Note : 17/20

Sépulture des zones commerciales


J’ai d’autant plus d’estime pour « les fils ou filles de » que leurs talents dépassent celui de leurs parents. Quand la progéniture efface le géniteur et prouve par là même son mérite. C’est pourquoi j’aime davantage Vinent Cassel ou Nicolas Bedos qu’Arthur Jugnot ou Marylou Berry. Et Sylvain Tesson fait indubitablement partie de la catégorie des éteignoirs d’aïeux à la notoriété précédente.

Ce préambule établi, passons à l’étude du livre qui contient deux dimensions. Le récit empirique de sa traversée diagonale d’une France encore sauvage, bien rurale et préservée où des amis et sa sœur l’accompagnent par moment et puis des réflexions sur quelques désastres du monde moderne, passionnantes, qui entrecoupent ce voyage de la rééducation physique, imposée par son grave accident.

Il est de par son état privé d’alcool, ce qui revient souvent comme un leitmotiv dont il accepte toutefois joyeusement l’augure.

Le style de Tesson est savoureux, contenu entièrement dans le choix de son vocabulaire. Une coexistence de mots anciens, presque surannés, et d’autres bien modernes qui le font tenir en équilibre entre tradition et air du temps, donnant une subtilité unique à sa langue.

Pour conclure, la belle découverte d’un auteur français d’aujourd’hui dont je n’avais encore rien lu, me contentant seulement d’admirer sa sagacité naturelle sur différents plateaux télé.

Je pourrais conspuer avec lui la laideur architecturale des hypermarchés que l’on trouve en périphérie de nos villes. C’est l’évidence même, mais putain que c’est pratique.

En opposition, son amour d’une nature simple est bien décrit et communicatif, faite de plantes et d’insectes, d’oiseaux et de sentiers, ses « chemins noirs » sont un envoûtant voyage dans le temps, un monde préservé du marteau piqueur ; champêtre, pastoral et bucolique, bientôt détruit par des plans d’urbanisme défigurants que l’état appellera sans vergogne de l’enviable et respectable nom de progrès.

Il existe deux champs de la réaction, l’un balisé et l’autre sauvage . Tesson, grâce à Dieu, se retrouve sur celui médiatiquement acceptable. Adoubé, autorisé et même encouragé puisqu’il revêt une dimension écologiste.




Samuel d’Halescourt

lundi 20 mars 2017

Chronique des enfers

Chapitre I (1)


Avant ma douloureuse mais sereine componction actuelle, il aura bien fallu que je vienne au monde. Ceux qui m’adoptèrent m’ont maintes fois raconté mon histoire. Celle de la découverte impromptue de mon berceau et de mes jeunes années passées à leur côté avant que la conscience ne me vienne et que mes souvenirs ne s’évaporent plus. Avant que je ne sois le panégyriste de ma propre mémoire.

Une faible délégation de la tribu des Nach Hassar s’en revenait péniblement de la ville pour rejoindre leur campement sous une pluie battante. Ils s’y étaient rendu pour vendre quelques moutons et acheter ce que même leurs artisans les plus doués ne pouvaient confectionner, des armes et des outils.

De leur retour, à l’orée du chemin caillouteux et d’un vénérable bois, ils tombèrent sur l’épave d’un carrosse couché sur le flan avec trois cadavres à ses côtés, les chevaux ayant disparus. Ils s’approchèrent prudemment des vestiges de ce qu’il y a une poignée d’heures vivaient encore. Transpercés de toutes parts, gisaient là deux hommes et une femme. Le cocher et un couple de hauts bourgeois. Leurs affaires, sacs, malles, coffrets et cassettes semblaient s’être volatilisés. Leurs poches étaient vides et leurs bijoux dérobés.

Pendant leur fouille minutieuse des pauvres macchabées, ils furent interdits d’entendre les braillements d’un nourrisson venant de l’intérieur de la carcasse échouée. L’un des membres de cette tribu décadente et bornée, quasiment en fin de race, monta d’un saut sur le véhicule. Il ouvrit la porte vers le ciel et découvrit un bébé d’à peine trois mois emmitouflé de couvertures en laine dans son couffin, sans la moindre égratignure. Il paraît que c’était moi et s’il faut en croire les évènements, déjà protégé par la providence.

Ils me ramenèrent à leur point de vie, là où la transhumance automnale les avait menés. Voyages et commerces étaient leurs deux raisons de vivre à ces bons Nach Hassar. L’examen de mon cas fit grand bruit au sein de l’assemblée spécialement réunie pour l’étudier et prendre la décision qui s’imposerait.




Samuel d’Halescourt

jeudi 16 mars 2017

La mer regarde de Kei Kumai (2002) note : 16/20

La part romantique des geishas


Après « Après la pluie », un autre cinéaste compatriote du grand Kurosawa s’empare d’un de ses scénarios posthumes pour le porter à l’écran. Et même si l’on peut présumer que le vieil Akira aurait fait mieux, ça reste du très bel ouvrage.

S’inscrivant comme un sous-genre du chambara qu’est le film de geisha, « La mer regarde » nous plonge dans cet univers interlope et intriguant, mystérieux et impénétrable à l’occidental moyen qui pourrait prendre nos dames de compagnie pour de vulgaires prostituées, contraintes de surcroît. Mais au vu de ce film, il n’en est rien et la vulgate s’effondre. La geisha relève plus de la courtisane, de la confidente et conseillère, de la musicienne accompagnatrice ou de la partenaire bienveillante de beuverie. Et le samouraï, le commerçant ou l’artisan de ce japon traditionnel aux mœurs ancestrales, vient avant tout y trouver un havre de paix, y soigner ou y conforter son vague à l’âme et sa mélancolie.

Beauté mélancolique qui transcende tout le film, accentuée par la sublime tristesse de la musique qui revient régulièrement comme une boucle. Et puis la fin de l’œuvre, un quart d’heure d’onirisme pur. Deux de nos héroïnes perchées sur le toit de la maison entourée par le niveau surélevé de la mer et prise au piège. On assiste au dénouement d’une grande histoire d’amour.

Pour conclure, un bath de film sur le rapport entre samouraï et geisha, les deux figures de proue d’un Japon fantasmé, d’un âge d’or qui firent de nos générations des nipponophiles à défaut d’être japonisant et originellement initiées par les animés de chez Dorothée.

Une volonté naturaliste, d’un réalisme stupéfiant où même la violence est rendue de façon crédible, non esthétisée, quand la peur et l’envie d’en découdre s’entremêlent chez ses protagonistes. Tout y est parfaitement humain, des sentiments aux attitudes.




Samuel d ‘Halescourt

samedi 11 mars 2017

Underworld 2 - Evolution de Len Wiseman (2006) Note : 15/20

De la bonne utilisation de l’ultraviolet


Bien supérieur au premier, le second opus de la saga nous entraîne dans le dénouement d’un conflit qui dure depuis un millénaire par la décapitation des têtes installées hiérarchiquement au sommet de leurs pyramides raciales.

Le primo-vampire a du style et de la gueule, démon ailé qui semble tout droit sorti d’une petite production asiatique (chinoise ou japonaise), d’une terrifique série B Hong-Kongaise.

Quant au primo-garou, seul lycan jusque là a arboré un pelage immaculé, sa majesté nous est clairement suggérée, sa puissance libérée. Correctement réalisé, d’autres lycans mineurs pâtissent quant à eux, une fois encore, de scories technologiques les amenant à être plus proche du chien-garou ou du babouin-garou que de la créature recherchée.

Toujours la même belle ambiance, techno gothique, le tout passé au filtre bleu avec un scénario, certes simpliste, mais qui a le mérite de nous amener là où l’on veut aller, vers un affrontement final dantesque, à base d’un écartement contre nature de mâchoires et d’un éparpillement de membres par pâles d’hélicoptères interposés.

Il faut se rendre à l’évidence, c’est étonnamment bon. Qui l’eut cru ? Kate Beckinsale y est à la fois sublime et impressionnante, presque intimidante.

Pour conclure, du très bon cinéma de divertissement conçu pour ça, élaboré pour ça, hautement jouissif pour tout amateur de l’exploitation réussie de la fusion conceptuelle des mythologies populaires et des cultures souterraines.

Le film s’ouvre sur une dizaine de minutes de genèse au moyen-âge. C’est comme si nous avions un court-métrage indépendant, rattaché à l’univers de la série, puis un long-métrage d’une heure et demie. On pourrait y voir un hommage aux séances, aux projections d’antan où un court précède le long pour mettre en appétit.

Underworld 2 est un merveilleux mix entre un comics et un format franco-belge. L’impression que chaque plan est une case dans une planche. Edité chez Glénat ou Delcourt.




Samuel d’Halescourt

lundi 27 février 2017

Sherlock Holmes : Jeu d’ombres de Guy Ritchie (2011) Note : 7/20

Le quadruple axel d’Arthur Conan Doyle dans sa tombe


On ne demande pas aux adaptateurs de légendes un trop plein d’obséquiosité et de déférence vis-à-vis des univers et des personnages dont ils s’emparent mais un minimum, un semblant de prise en compte des matériaux originaux et de leurs natures serait le bienvenu. Sans quoi c’est irrémédiablement le naufrage aux yeux des connaisseurs. Et les scénaristes de cet anti-hommage mériteraient, métaphoriquement bien sûr, symboliquement, une balle dans le genou ou un coup de hallebarde dans le sternum.

J’abandonne là mon homélie préliminaire pour encore mieux l’accentuer. Le premier Sherlock Holmes de Ritchie était convenable, il y avait un morceau d’enquête et peu d’outrances clownesques. Dans l’ensemble plutôt respectueux. Mais dans ce deuxième volet et c’en est là la tragique perfidie, on y convoque toute la mythologie sherlockienne (Mycroft le frère de Holmes, le Diogenes Club et l’affreux Moriarty) qui normalement devrait nous contenter, pour mieux nous décevoir tant leur exploitation est misérable, le tout bâti sur un néant scénaristique.

Alors évidemment, les images sont belles et la réalisation tient la route, voyant bien qu’il y a une continuité cohérente d’« Arnaques, crimes et botanique », puis « Snatch », jusqu’à ce « Jeu d’ombres ». Mais de là à faire de Holmes originellement un petit détective aux intuitions de génie, un super héros au QI de 400 avec des dons de divination et une capacité au combat qui aurait fait pâlir Attila voire Arès lui-même, il y a de la marge. La scène du train est tellement pitoyable et ridicule que ça me fait mal de l’évoquer.

Pour conclure, l’ennui et la transgression stérile se sont donnés rendez-vous pour déranger et contrarier les défenseurs et les amateurs du détective à la loupe.

Seuls les bohémiens et les anarchistes ont un peu d’intérêt dans ce mouvement général fait de scènes d’actions impotentes dans une linéarité narrative digne d’un mauvais jeu vidéo.

Pourvu que Guy Ritchie, qui veut imposer ces fondamentaux à tout ce qu’il traite, ne s’attaque jamais à la vie du Christ !




Samuel d’Halescourt

mardi 21 février 2017

Comment tu parles de ton père – Joann Sfar (2016) Note : 14/20


Entre esprit punk, culture geek et judaïsme


Le titre du livre et sa promotion médiatique furent d’éhontées demi-vérités. Ce n’est pas un livre sur son père mais sur son rapport au judaïsme vu à travers le prisme de son père.

Je me suis intéressé à Sfar et donc à ce livre par une accumulation d’interviews du susnommé visionnées au fil des années où j’ai été séduit par son caractère et son esprit, par une idiosyncrasie intrigante. A la fois transgressif et respectueux, désinvolte et sérieux. Une sorte de punk à la québécoise. Un oxymore sur pattes. Peut-être la voie de la sagesse par l’opération d’une synthèse qui mène à la tempérance.

Le livre, censé être centré sur la mémoire du paternel André Sfar, ne respecte aucune structure et c’est tant mieux ; ça part dans tous les sens. L’anecdote surgit après la réflexion, le souvenir après la déclaration. L’ensemble est signifié par un style parlé où l’on ressent que Sfar écrit comme il aurait l’habitude de s’exprimer, ce qui donne un ton direct, fleuri et percutant au texte, évidement sublimé par son « petit » talent.

On y apprend notamment qu’en ce temps là à Nice, une méta-police hébraïque défendait chèrement l’intégrité des pierres constituant la synagogue et qu’un jeune juif pouvait avoir un pote skinhead s’il répondait à l’injonction majeure de la sympathie, s’il en allait ainsi de sa nature cachée.

Pour conclure, une autobiographie fragmentaire, un alignement de réminiscences parcellaires autour du père et du judaïsme (c’est ici la même chose), de sa mère disparue trop tôt, de son ex-compagne et de tout un tas de petits sujets qui, glissés au milieu des thèmes tutélaires, font tout le sel du bouquin.

Sfar s’inscrit comme un touche-à-tout heureux et démontre que la pluridisciplinarité artistique reste légale pour peu qu’on en ait l’adresse et l’aisance, et réactive ce que je crois être une vieille tradition française dans la veine des Cocteau, Guitry ou autre Pagnol.




Samuel d’Halescourt

mardi 7 février 2017

La route – Cormac Mc Carthy (2007) Note : 12/20

Prose de la dernière lumière


Les personnages, un homme et son fils, n’ont pas de noms. Relégués au rang d’ectoplasmes errant dans des paysages plus ou moins urbains, recouverts de cendres. Peu importe leur identité, ils sont déjà morts, la désolation ayant tout emporté.

Un goût d’apocalypse envahit le moindre de leurs gestes, de leurs paroles, conditionnés par la nécessité que confère l’impératif de la survie. C’est la mise en mot d’un grand sentiment d’absurde qui nous étreint face à la fin des temps, des dernières convulsions d’une poignée d’hommes sur terre.

Le livre est savamment, minutieusement découpé en minuscules chapitres, presque des versets, d’un ou deux paragraphes tout au plus qui s’agglutinent entre eux et déroulent la cauchemardesque agonie de nos héros.

Comme si un dieu assoupi ouvrait régulièrement les yeux pour voir où en sont ses dernières créatures, leur avancement au milieu des cendres. Un dieu, qui n’ayant plus de fidèles pour lui donner persistance par consciences interconnectées, s’éteindrait lui aussi à tout jamais tel un soleil obstrué par un hiver nucléaire. Et ce démiurge, en l’espèce, c’est Mc Carthy qui signe à la fois la fin des hommes et la fin de sa carrière littéraire dans un même élan crépusculaire.

Là où ça pèche, le grand défaut du livre, c’est le style bien trop sommaire, accompagné d’un vocabulaire des plus minimales. Quant aux multiples tentatives de produire de la prose, ça tombe irrémédiablement à plat, aucun effet poétique ne l’emporte. Un peu léger pour un prix Pulitzer !

Pour conclure, « la route » est une œuvre moyenne, qui aurait son petit éclat chez un aficionado du post-apocalyptique mais une faible importance dans un transgenre littéraire globalisant.

Ayant vu le film d’Hillcoat avant de découvrir le bouquin, je pensais naïvement qu’il y avait bien plus dans le second que dans le premier, qu’il s’y trouvait peut-être des réflexions hautement philosophiques intraduisibles à l’écran d’où sa relative propension au rien. Eh bien non, le film est fidèle au livre, inconséquent !

Mais il demeure néanmoins un élément captivant, c’est cette obsession des cendres. Car il y est toujours question de cendres, le monde étant visiblement devenu un immense cendrier.




Samuel d’Halescourt

lundi 2 janvier 2017

Underworld de Len Wiseman (2003) note: 12/20

De la bonne utilisation du nitrate d’argent


Première impression, ce n’est pas aussi lamentable que ça le laissait présager. Il y a du récupérable, du digne d’être sauvegardé, du mémorisable. En faible quantité certes mais quelques éléments surnagent après décantation.

Tout d’abord l’héroïne, Selene, principale attrait du film, impressionnante, froide et atrabilaire dans les scènes courantes et hautement crédible dans des scènes d’action mêlant fuites et fantasques fusillades.

L’image nimbée d’une lumière artificielle, un filtre bleuté qui envahit nos rétines, embellit les plans et flatte nos impressions, faisant échapper le film de peu à la perfide et suprême insulte de téléfilm.

Le problème majeur d’Underworld est que ça sent partout le plastique alors que ça devrait sentir le métal. Un métal des plus coriaces, des plus abrasifs.

Les lycanthropes ressemblent plus à des rats-garous géants et luisants, voire à des hyènes garous, qu’à de bons vieux loups-garous, imposants et racés, comme on les a toujours définis dans la culture populaire. Que les plans sur les lycans soient la plupart du temps furtifs n’est, à mon humble avis, pas un parti pris de réalisation mais plutôt une nécessité au vu de leur grossière fabrication, le but étant d’échapper au ridicule.

Pour conclure, une ébauche, la simple esquisse de ce qu’aurait pu être un grand film sur une guerre vampires contre loups-garous au sein d’un univers ouvertement gothique-punk, alors que nous espérions qu’il serait la concrétisation cinématographique du « monde des ténèbres » exploré pendant nos jeunes années de rôlistes.

Le combat final dans une marre souterraine est assez affligeant et le vampire-garou qui en sort victorieux, combinant les deux ADN, les deux sangs, proche du pathétique, le film signant là la vraie nature du projet.




Samuel d’Halescourt