Chronique des enfers
Chapitre I (5)
La part de mon enfance heureuse est
gorgée de souvenirs d'images et d'odeurs, de visions bucoliques
troublées par des bourrasques de vents poussiéreux et capricieux,
de chevaux magnifiques montés par des cavaliers à l'air hiératique,
de prairies immenses aux arbres solitaires, d'éclats de rire de
marmots aux visages laiteux, de jeux traditionnels ou inventés dans
l'instant, de camarades certes violents mais compréhensifs. Nous
n'étions sujet à aucune contrainte si ce n'est la connaissance
d'épopées divines et l'apprentissage de nombreux métiers.
Cet age ne s'encombrait d'aucune
ambition, d'aucun rêve particulier sur le devenir, simplement le
plaisir d’être au monde et d’évoluer au contact hasardeux du
destin.
De ces années, une interrogation de
mes petits camarades revenait sans cesse : « pourquoi
tu ne te bats jamais ? » Je ne savais pas quoi répondre
mais le fait était là ! Mon caractère pacifique, mon esprit
profondément androgyne impropre à toute violence étaient bien
réels. J'étais une énigme pour moi comme pour les autres.
Seuls mes plus proches, mon groupe
d'amis, n'y voyaient rien de ridicule. Médi, Xima et Malène, liés
par l'enfance et l'entraide. Je vous retrouverai un jour pour vous
extirper à cette vie de misère, pour votre malheur à tous.
Médi était un colosse pour son jeune
age et sa simple présence suffisait à dissuader d'éventuels
harceleurs de venir nous chatouiller.
Xima était le fils du chef de la tribu
et jouissait de ce fait d'avantages héréditaires, un mélange de
respect et de mise à l'écart.
Quant à Malène, pourtant convoitée
par d'autres groupes plus attrayants, conformes et prometteurs, elle
s'était entichée de notre petit groupe de marginaux prépubères
auquel elle apportait toute sa générosité et sa différence en
plus de sa beauté et de son intelligence.
Les nombreuses transhumances dont nous
suivions servilement l'itinéraire ne repassaient jamais deux fois au
même endroit, ce qui nous donnait une impression de perpétuelle
aventure mais de nous sentir comme étranger partout où nous
atterrissions.
Samuel d'Halescourt