mercredi 29 mars 2017

Sur les chemins noirs (2016) – Sylvain Tesson Note : 17/20

Sépulture des zones commerciales


J’ai d’autant plus d’estime pour « les fils ou filles de » que leurs talents dépassent celui de leurs parents. Quand la progéniture efface le géniteur et prouve par là même son mérite. C’est pourquoi j’aime davantage Vinent Cassel ou Nicolas Bedos qu’Arthur Jugnot ou Marylou Berry. Et Sylvain Tesson fait indubitablement partie de la catégorie des éteignoirs d’aïeux à la notoriété précédente.

Ce préambule établi, passons à l’étude du livre qui contient deux dimensions. Le récit empirique de sa traversée diagonale d’une France encore sauvage, bien rurale et préservée où des amis et sa sœur l’accompagnent par moment et puis des réflexions sur quelques désastres du monde moderne, passionnantes, qui entrecoupent ce voyage de la rééducation physique, imposée par son grave accident.

Il est de par son état privé d’alcool, ce qui revient souvent comme un leitmotiv dont il accepte toutefois joyeusement l’augure.

Le style de Tesson est savoureux, contenu entièrement dans le choix de son vocabulaire. Une coexistence de mots anciens, presque surannés, et d’autres bien modernes qui le font tenir en équilibre entre tradition et air du temps, donnant une subtilité unique à sa langue.

Pour conclure, la belle découverte d’un auteur français d’aujourd’hui dont je n’avais encore rien lu, me contentant seulement d’admirer sa sagacité naturelle sur différents plateaux télé.

Je pourrais conspuer avec lui la laideur architecturale des hypermarchés que l’on trouve en périphérie de nos villes. C’est l’évidence même, mais putain que c’est pratique.

En opposition, son amour d’une nature simple est bien décrit et communicatif, faite de plantes et d’insectes, d’oiseaux et de sentiers, ses « chemins noirs » sont un envoûtant voyage dans le temps, un monde préservé du marteau piqueur ; champêtre, pastoral et bucolique, bientôt détruit par des plans d’urbanisme défigurants que l’état appellera sans vergogne de l’enviable et respectable nom de progrès.

Il existe deux champs de la réaction, l’un balisé et l’autre sauvage . Tesson, grâce à Dieu, se retrouve sur celui médiatiquement acceptable. Adoubé, autorisé et même encouragé puisqu’il revêt une dimension écologiste.




Samuel d’Halescourt

lundi 20 mars 2017

Chronique des enfers

Chapitre I (1)


Avant ma douloureuse mais sereine componction actuelle, il aura bien fallu que je vienne au monde. Ceux qui m’adoptèrent m’ont maintes fois raconté mon histoire. Celle de la découverte impromptue de mon berceau et de mes jeunes années passées à leur côté avant que la conscience ne me vienne et que mes souvenirs ne s’évaporent plus. Avant que je ne sois le panégyriste de ma propre mémoire.

Une faible délégation de la tribu des Nach Hassar s’en revenait péniblement de la ville pour rejoindre leur campement sous une pluie battante. Ils s’y étaient rendu pour vendre quelques moutons et acheter ce que même leurs artisans les plus doués ne pouvaient confectionner, des armes et des outils.

De leur retour, à l’orée du chemin caillouteux et d’un vénérable bois, ils tombèrent sur l’épave d’un carrosse couché sur le flan avec trois cadavres à ses côtés, les chevaux ayant disparus. Ils s’approchèrent prudemment des vestiges de ce qu’il y a une poignée d’heures vivaient encore. Transpercés de toutes parts, gisaient là deux hommes et une femme. Le cocher et un couple de hauts bourgeois. Leurs affaires, sacs, malles, coffrets et cassettes semblaient s’être volatilisés. Leurs poches étaient vides et leurs bijoux dérobés.

Pendant leur fouille minutieuse des pauvres macchabées, ils furent interdits d’entendre les braillements d’un nourrisson venant de l’intérieur de la carcasse échouée. L’un des membres de cette tribu décadente et bornée, quasiment en fin de race, monta d’un saut sur le véhicule. Il ouvrit la porte vers le ciel et découvrit un bébé d’à peine trois mois emmitouflé de couvertures en laine dans son couffin, sans la moindre égratignure. Il paraît que c’était moi et s’il faut en croire les évènements, déjà protégé par la providence.

Ils me ramenèrent à leur point de vie, là où la transhumance automnale les avait menés. Voyages et commerces étaient leurs deux raisons de vivre à ces bons Nach Hassar. L’examen de mon cas fit grand bruit au sein de l’assemblée spécialement réunie pour l’étudier et prendre la décision qui s’imposerait.




Samuel d’Halescourt

jeudi 16 mars 2017

La mer regarde de Kei Kumai (2002) note : 16/20

La part romantique des geishas


Après « Après la pluie », un autre cinéaste compatriote du grand Kurosawa s’empare d’un de ses scénarios posthumes pour le porter à l’écran. Et même si l’on peut présumer que le vieil Akira aurait fait mieux, ça reste du très bel ouvrage.

S’inscrivant comme un sous-genre du chambara qu’est le film de geisha, « La mer regarde » nous plonge dans cet univers interlope et intriguant, mystérieux et impénétrable à l’occidental moyen qui pourrait prendre nos dames de compagnie pour de vulgaires prostituées, contraintes de surcroît. Mais au vu de ce film, il n’en est rien et la vulgate s’effondre. La geisha relève plus de la courtisane, de la confidente et conseillère, de la musicienne accompagnatrice ou de la partenaire bienveillante de beuverie. Et le samouraï, le commerçant ou l’artisan de ce japon traditionnel aux mœurs ancestrales, vient avant tout y trouver un havre de paix, y soigner ou y conforter son vague à l’âme et sa mélancolie.

Beauté mélancolique qui transcende tout le film, accentuée par la sublime tristesse de la musique qui revient régulièrement comme une boucle. Et puis la fin de l’œuvre, un quart d’heure d’onirisme pur. Deux de nos héroïnes perchées sur le toit de la maison entourée par le niveau surélevé de la mer et prise au piège. On assiste au dénouement d’une grande histoire d’amour.

Pour conclure, un bath de film sur le rapport entre samouraï et geisha, les deux figures de proue d’un Japon fantasmé, d’un âge d’or qui firent de nos générations des nipponophiles à défaut d’être japonisant et originellement initiées par les animés de chez Dorothée.

Une volonté naturaliste, d’un réalisme stupéfiant où même la violence est rendue de façon crédible, non esthétisée, quand la peur et l’envie d’en découdre s’entremêlent chez ses protagonistes. Tout y est parfaitement humain, des sentiments aux attitudes.




Samuel d ‘Halescourt

samedi 11 mars 2017

Underworld 2 - Evolution de Len Wiseman (2006) Note : 15/20

De la bonne utilisation de l’ultraviolet


Bien supérieur au premier, le second opus de la saga nous entraîne dans le dénouement d’un conflit qui dure depuis un millénaire par la décapitation des têtes installées hiérarchiquement au sommet de leurs pyramides raciales.

Le primo-vampire a du style et de la gueule, démon ailé qui semble tout droit sorti d’une petite production asiatique (chinoise ou japonaise), d’une terrifique série B Hong-Kongaise.

Quant au primo-garou, seul lycan jusque là a arboré un pelage immaculé, sa majesté nous est clairement suggérée, sa puissance libérée. Correctement réalisé, d’autres lycans mineurs pâtissent quant à eux, une fois encore, de scories technologiques les amenant à être plus proche du chien-garou ou du babouin-garou que de la créature recherchée.

Toujours la même belle ambiance, techno gothique, le tout passé au filtre bleu avec un scénario, certes simpliste, mais qui a le mérite de nous amener là où l’on veut aller, vers un affrontement final dantesque, à base d’un écartement contre nature de mâchoires et d’un éparpillement de membres par pâles d’hélicoptères interposés.

Il faut se rendre à l’évidence, c’est étonnamment bon. Qui l’eut cru ? Kate Beckinsale y est à la fois sublime et impressionnante, presque intimidante.

Pour conclure, du très bon cinéma de divertissement conçu pour ça, élaboré pour ça, hautement jouissif pour tout amateur de l’exploitation réussie de la fusion conceptuelle des mythologies populaires et des cultures souterraines.

Le film s’ouvre sur une dizaine de minutes de genèse au moyen-âge. C’est comme si nous avions un court-métrage indépendant, rattaché à l’univers de la série, puis un long-métrage d’une heure et demie. On pourrait y voir un hommage aux séances, aux projections d’antan où un court précède le long pour mettre en appétit.

Underworld 2 est un merveilleux mix entre un comics et un format franco-belge. L’impression que chaque plan est une case dans une planche. Edité chez Glénat ou Delcourt.




Samuel d’Halescourt