dimanche 11 novembre 2018

Moi y'en a vouloir des sous de Jean Yanne (1973) 12/20

 Quand le syndicat monte au capital.

Formellement, il est bien moins réussi que « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », mais l'intensité des messages distillés est toujours du même tonneau. De la satire sans ambages qui pousse à la réflexion et à l'ordonnancement des sujets traités, que ce soit le rapport capitalisme-syndicalisme, le catholicisme (plus que la figure du christ) et sa ramification modulatoire, le féminisme (isolée autant qu'opportuniste) et la seule obsession récurrente : faire des sous.
D'après Benoît Lepape, le personnage de Jean Yanne, on ne peut combattre le capitalisme que par lui-même, on ne peut qu'en épouser les règles et le fonctionnement pour mieux l’abattre. Théorie qu'il mènera à son terme en offrant l'empire constitué à ses ouvriers après une grève patronale, obligeant ceux-ci à accepter des responsabilités qu'ils refusaient, n'aspirant qu'à une vie tranquille et bien rémunérée.

On y apprend qu'un patron concurrent peut être à l'initiative d'une manifestation, débouchant naturellement sur l'occupation de votre usine, et qu'un homme-lige bien placé dans un autre syndicat peut faire céder ces velléités révolutionnaires par des promesses de contre-partie.

On découvre également la tartuferie du syndicaliste Blier, dénonçant un capitalisme dont il est le meilleur allié. A-t-on jamais vu une entreprise sans patron ?

Jean Yanne a pour meilleur ami Michel Serrault, un prêtre auquel il offre une église-usine, inaugurée en grande pompe par le groupe Magma. Veut-il nous dire que le mysticisme est en plein transmigration et que ce sont désormais les groupes de rock ésotérique qui guideraient les brebis vers les cieux célestes.

La sublime Nicole Calfan, qui deviendra la compagne de Yanne, incarne une pasionaria à la tête d'un groupe féministe qui a pour slogan et devise : liberté, égalité, sexualité. Cette intransigeante finira tout de même par faire couple dans le dénuement hospitalier d'une modeste maison, démontrant qu'elle aura pu se détacher de l'argent mais pas de ses instincts primaires.

Pour conclure, deux éléments notables. D'abord la sous-exploitation de Daniel Prévost quasiment réduit à un rôle de figurant. On aurait aimé qu'il ait une ou deux minutes à lui pour avoir la joie de le voir s'embarquer dans une digression délirante et coutumière. Ensuite la présence pour la deuxième fois de Paul Préboist dans un petit rôle. Je vois cette utilisation de Préboist comme un pied de nez au cinéma sérieux et respectable. Une volonté d'affirmer l’œuvre populaire, un bras d'honneur à l'intellectualisme et au bon goût. Une façon de dire que le message est là, bien présent mais que ça reste une pochade où rien d'analytique ne saurait être pertinent.

Vive les bicyclettes Luciole !


Samuel d'Halescourt

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil 16/20

 Le Christ, source inépuisable de rigolade.

Ce film devrait être considéré comme un élément tardif de mai 68. Une queue de comète qui est en fait l'ouverture d'une décennie de liberté et de créativité en France, avant que ne vienne s'abattre le politiquement correct, forme de censure des néo-curés de la bien-pensance et directement importé des mondes anglo-saxons, même si les cibles de Yanne n'ont rien d'original et s'inscrivent dans un champ de la dérision autorisé, pour ne pas dire obligatoire chez tous les thuriféraires des lois iniques et scélérates qui restreignent la liberté d'expression, tous les gardiens de la bienséante ironie médiatique.

Ses cibles principales se comptent au nombre de trois : la publicité (consubstantielle au mensonge), Jésus (remis au goût du jour par le love and peace ambiant) et le théâtre contemporain (pensum prétentieux qui n'intéressait personne). Et notre bon Jean Yanne, dominé tout entier par un impératif de vérité, ne peut s’empêcher d'en dénoncer les formes émergentes. Trois phénomènes encastrés dans une critique encore plus globale, qui est l'essence du film et son cadre, celle d'une radio commerciale et sa nécessaire rentabilité, minuscule branche d'un capitalisme qui paraît aujourd'hui sympathique, car à la papa et franchouillard, malgré les renvois implacables du patron Blier.

Radio Plus – Radio Plus – Radio Plus.

L'évocation d'une époque proche et lointaine, libertaire et bon enfant où des mains masculines et intempestives tapotaient les fesses d'attirantes speakerines qui pouvaient vivre comme une négligente humiliation le fait d'en être épargnées.

Petit hommage à Marina Vlady, Jacques François, Michel Serrault et surtout Daniel Prévost, l'Edouard Baer de la génération précédente, qui tous excellent et donnent du génie à un film qui sans eux aurait pris le risque d'en manquer.

Pour conclure, une comédie satirique intemporelle, qui marque le début d'une décennie de déferlement de la part de Jean Yanne, tant que le succès participera à donner vie à sa production.

Aucun chrétien ne saurait lui tenir rigueur de ridiculiser le christ, car dans un monde où la foi en sa figure s'éteint peu à peu, parler de lui est déjà une victoire, démontrant son incontournabilité.

Au milieu du film, on y voit le patron Bernard Blier assis sur un canapé bleu à franges. Mes grands-parents avaient le même. Si je doutais encore qu'ils eussent appartenu, à force de travail, à la petite bourgeoisie de leur bourgade rurale, me voilà devant un fait incontournable, passablement rassuré sur mes origines.


Samuel d'Halescourt