lundi 26 juin 2017

Chronique des enfers

Chapitre I (4)


Pour commencer il y avait leurs mains, ces grosses pattes d’ours, lourdes et dodues, comparées aux miennes, des mains de poète, aux doigts rachitiques et délicats, capable de domestiquer par ses caresses tous les instruments de musique qui se présentaient, fussent-ils les plus rudimentaires.

Leur peau était étonnement blanche, presque d’albâtre, d’un crème immaculé alors que la mienne se voulait beaucoup plus cuivrée, définitivement complice du soleil et apparue à la nature dans une terre plus australe.

Leur nez était rond et volumineux, couperosé chez les plus anciens. Le mien détonnait, hautement aquilin, il était d’une autre engeance, d’autres contrées.

Et puis cet œil gauche blanchi que portaient tous les mâles de la tribu, maladie dégénérative qui apparaissait avec la puberté. Cette bille nacrée, enfoncée dans l’orifice oculaire, ce colifichet qu’ils portaient comme un trophée. Pour rien au monde ils n’en auraient cherché le remède, c’était leur particularité d’homme, leur passage à l’âge adulte, une fierté grossière et primitive. Le mien, d’œil, ne blanchirait jamais et cette différence fondamentale s’affirmant, je ne pourrais que constater l’exclusion.

Bien que pourvu de parents reconnus et officiels, l’éducation se faisait par la communauté, grande famille où chacun avait son mot à dire. Et les méthodes étaient plus que suspectes, les adultes se révélant être les rois du pancrace éducatif. Coups de pieds, coups de poings, tout y passait. Mon corps en était le réceptacle et aucune zone ne souffrait de discrimination. Et maltraité, du fait de ma complète bâtardise, je le fus plus que les autres souvent dans des élans de gratuité qui allumait en moi le terrible sentiment d’injustice. Parmi les femmes, certaines étaient tendres évidemment, mais c’est la brutalité et la violence qui marquent au fer rouge. Avec le temps et ma position, le ressentiment s’est évaporé mais je dois reconnaître que cet antécédent aura sûrement participé à mon long parcours chaotique, à ne pas grandir sereinement.

Au milieu de cette rusticité, y aurait-il des souvenirs relevant de la joie et du bonheur ?




Samuel d’Halescourt

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