Chronique des enfers
Chapitre I (4)
Pour commencer il y avait leurs mains, ces grosses
pattes d’ours, lourdes et dodues, comparées aux miennes, des mains
de poète, aux doigts rachitiques et délicats, capable de
domestiquer par ses caresses tous les instruments de musique qui se
présentaient, fussent-ils les plus rudimentaires.
Et puis cet œil gauche blanchi que portaient tous
les mâles de la tribu, maladie dégénérative qui apparaissait avec
la puberté. Cette bille nacrée, enfoncée dans l’orifice
oculaire, ce colifichet qu’ils portaient comme un trophée. Pour
rien au monde ils n’en auraient cherché le remède, c’était
leur particularité d’homme, leur passage à l’âge adulte, une
fierté grossière et primitive. Le mien, d’œil, ne blanchirait
jamais et cette différence fondamentale s’affirmant, je ne
pourrais que constater l’exclusion.
Bien que pourvu de parents reconnus et officiels,
l’éducation se faisait par la communauté, grande famille où
chacun avait son mot à dire. Et les méthodes étaient plus que
suspectes, les adultes se révélant être les rois du pancrace
éducatif. Coups de pieds, coups de poings, tout y passait. Mon corps
en était le réceptacle et aucune zone ne souffrait de
discrimination. Et maltraité, du fait de ma complète bâtardise, je
le fus plus que les autres souvent dans des élans de gratuité qui
allumait en moi le terrible sentiment d’injustice. Parmi les
femmes, certaines étaient tendres évidemment, mais c’est la
brutalité et la violence qui marquent au fer rouge. Avec le temps et
ma position, le ressentiment s’est évaporé mais je dois
reconnaître que cet antécédent aura sûrement participé à mon
long parcours chaotique, à ne pas grandir sereinement.
Au milieu de cette rusticité, y aurait-il des
souvenirs relevant de la joie et du bonheur ?
Samuel d’Halescourt
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