Chronique des enfers
Chapitre I (1)
Avant ma douloureuse mais
sereine componction actuelle, il aura bien fallu que je vienne au
monde. Ceux qui m’adoptèrent m’ont maintes fois raconté mon
histoire. Celle de la découverte impromptue de mon berceau et de mes
jeunes années passées à leur côté avant que la conscience ne me
vienne et que mes souvenirs ne s’évaporent plus. Avant que je ne
sois le panégyriste de ma propre mémoire.
Une faible délégation
de la tribu des Nach Hassar s’en revenait péniblement de la ville
pour rejoindre leur campement sous une pluie battante. Ils s’y
étaient rendu pour vendre quelques moutons et acheter ce que même
leurs artisans les plus doués ne pouvaient confectionner, des armes
et des outils.
De leur retour, à l’orée
du chemin caillouteux et d’un vénérable bois, ils tombèrent sur
l’épave d’un carrosse couché sur le flan avec trois cadavres à
ses côtés, les chevaux ayant disparus. Ils s’approchèrent
prudemment des vestiges de ce qu’il y a une poignée d’heures
vivaient encore. Transpercés de toutes parts, gisaient là deux
hommes et une femme. Le cocher et un couple de hauts bourgeois. Leurs
affaires, sacs, malles, coffrets et cassettes semblaient s’être
volatilisés. Leurs poches étaient vides et leurs bijoux dérobés.
Pendant leur fouille
minutieuse des pauvres macchabées, ils furent interdits d’entendre
les braillements d’un nourrisson venant de l’intérieur de la
carcasse échouée. L’un des membres de cette tribu décadente et
bornée, quasiment en fin de race, monta d’un saut sur le véhicule.
Il ouvrit la porte vers le ciel et découvrit un bébé d’à peine
trois mois emmitouflé de couvertures en laine dans son couffin, sans
la moindre égratignure. Il paraît que c’était moi et s’il faut
en croire les évènements, déjà protégé par la providence.
Ils me ramenèrent à leur point de
vie, là où la transhumance automnale les avait menés. Voyages et
commerces étaient leurs deux raisons de vivre à ces bons Nach
Hassar. L’examen de mon cas fit grand bruit au sein de l’assemblée
spécialement réunie pour l’étudier et prendre la décision qui
s’imposerait.
Samuel d’Halescourt
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