dimanche 21 juin 2015

Le juge et l’assassin de Bertrand Tavernier (1975/76) Note : 18/20

Le juge et l’assassin de Bertrand Tavernier (1975/76)

L’anarchiste de Dieu


Un chef-d’œuvre du cinéma français des années 1970. Tout est idéal, le scénario, la réalisation, le choix des acteurs, leurs jeux, la musique, au service d’un propos puissant qui porte la réflexion et une controverse avec soi-même.

Galabru mérite mille fois son césar du meilleur acteur, il est incroyable dans le rôle de Bouvier, ce fou, ce psychopathe illuminé, ce vagabond nihiliste, cette canaille enragée à l’affliction parfois lyrique. Bouvier, dont les méandres de son cerveau esquinté lui font répéter cette formule qui sonne comme un suprême oxymore : je suis l’anarchiste de Dieu. Même si l’anarchisme chrétien a existé sous le grand patronage, l’égide de Tolstoï, il reste une bizarrerie. Peut-on se détacher de tous les dogmes en se réclamant du plus institutionnel d’entre eux ?

Ce prototype de tueur en série qui s’en prend à de jeunes bergères parce qu’il n’a subi que rejet et repoussement ne peut, par sa médiocrité, envisager d’autres formes de revanche, de sublimation. Et puis Noiret. Elégant, majestueux même quand il vocifère, homme du monde de la fin du XIXème siècle. Contre Zola et Mirbeau, on le devine antidreyfusard, certains « vite en besogne » jamais avares d’anachronismes le jugeront comme un épigone de l’extrême droite française alors qu’il n’est qu’un gentilhomme épousant les thèses de son époque.

Certes, il fait une apparition dans un colloque nationaliste, mais on fricote toujours avec ceux qui veulent bien de vous.

Pour conclure, un grand film dont on ne sait jamais où se situe vraiment Bertrand Tavernier, quel est son tropisme, sa part partisane. A mon avis il se contente de décrire une situation, de filmer un état de fait, sa présentation est clinique, dessinant des personnages forts ; sauf à la fin évidemment où un panneau incrusté nous rappelle que pendant que Bouvier commettait ses meurtres, des milliers d’enfants tombaient dans les usines sans procès pour leurs dirigeants.

Le titre n’est pas mensonger, il s’agit bien de l’histoire d’un juge et d’un assassin.

Petit clin d’œil à Gérard Jugnot dans un rôle de photographe, un de ses premiers. Question fondamentale pour l’acteur, vaut-il mieux obtenir un micro-rôle dans une œuvre majeure qui sera toujours vue par une armada de cinéphiles français dans les siècles avenirs ou un rôle majeur dans une fiction médiocre, oublié dès sa sortie ?




Samuel d’Halescourt

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